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20 avril 2019 6 20 /04 /avril /2019 19:13

-Je suis là mes petites chéries, dit-elle avant même de poser son sac.

Elle était essoufflée, elle avait dû courir dans la Zone Danger pour étoffer son garde-manger. Elle connaissait parfaitement les risques encourus, mais elle devait le faire pour elle-même et pour informer les Rebelles qui parfois passaient la voir. Qui se méfierait d’une dame aux cheveux blancs ? Maintenant elle habitait le quartier inondé du fleuve. La guerre avait détruit son appartement  et elle avait investi sans que ça dérange quiconque cette grande bâtisse vide qui tenait encore debout sur le bourbier nauséabond et putride.   Le confort y était spartiate mais ça ne dérangeait pas Siana . Elle n’occupait que la grande pièce de devant. Les autres, elle les laissait à ses chéries qui se moquaient bien des infiltrations d’eau et autres trous dans le plafond.

-Tout va bien ?

Son visage rayonnait en s’adressant aux centaines de plantes qui occupaient ce qui fut un salon cossu sous  une grande véranda. Un courant d’air vint les faire onduler comme en un silencieux hochement de tête. Les plantes s’étaient adaptées aux nouvelles conditions de vie. Comme les humains, elles avaient transformé certains paramètres pour pouvoir survivre dans le chaos. Elles  s’étaient adaptées, s’étaient modifiées. Ici, elles avaient l’eau en quantité suffisante qui remontait par le plancher, elles avaient le soleil généreux qui passait par les larges baies éventrées, elles n’avaient aussi aucun souci de nourriture, la fange marécageuse près du fleuve leur apportait tous les nutriments nécessaires. Siana passa parmi ses plantes carnivores en les effleurant tendrement. Elle sentit dans ses paumes comme un frémissement. Comme si les plantes vibraient sous sa caresse.

Depuis le déclenchement de la guerre, il y avait  plusieurs décennies, les humains survivants ne pouvaient que constater que certaines espèces opportunistes s’épanouissaient  bien volontiers dans  la pollution, le désordre climatique et les radiations.  Les plantes carnivores  étaient de celles –ci. C’est la maison qui attira Siana : grande,  située sur une petite hauteur près du fleuve, elle apparaissait comme un poste de guet. Ici, elle pourrait surveiller l’arrivée possible de  Malfaisants.  Quand elle  poussa la porte déglinguée, elle les vit de suite : elles semblaient l’attendre. Toutes belles et vigoureuses au milieu des gravats. Sa première envie  fut, c’est vrai,  de les jeter pour organiser son nouvel abri. Et puis, elle ressentit bizarrement de l’apaisement à leur contact, comme si une mystérieuse connexion s’était établie entre elles à son insu. La maison était assez grande pour une cohabitation  sereine. Les plantes et elle-même avait réussi à survivre aux bombes  irradiantes, aux gaz irritants, aux attaques de drones. Cette sale guerre avait décuplé en elles une force d’adaptation insoupçonnée.  Les plantes restèrent dans la véranda inondée et ouverte au vent et Siana  prit la grande pièce du devant. Entre survivantes, autant être solidaires pensa-t-elle. Elle ne regretta pas cette décision. La présence muette mais réactive des plantes lui apportait un peu de réconfort chaque jour. Et puis, le miracle de leur prolifération en relative bonne santé s’apparentait à une promesse. La promesse de jours meilleurs pour l’humanité.

Siana avait tout perdu à cause de cette sale guerre sauf peut-être l’espoir que tout redevienne comme avant. Une pensée de cœur tendre lui répondaient les Rebelles qui contrôlaient la zone et qui affrontaient tous les jours les Malfaisants.

Autrefois, il y a longtemps, Siana  avait une famille, un travail, une petite maison en banlieue tranquille. Les premières bombes s’étaient abattues alors qu’elle était en train de faire ses courses. Tout son quartier avait été détruit .Hébétée par la douleur d’avoir perdu son mari et ses enfants, elle avait d’abord erré  avec les survivants.  Mais les retombées des bombes à  perturbateurs endocriniens décimèrent la maigre troupe qu’elle suivait.  Quand un matin elle s’éveilla entourée de cadavres elle décida de quitter le groupe sans attendre. Voilà comment elle avait atterri ici. Elle ne le regrettait pas. Au contraire. Depuis son installation près du fleuve, elle engrangeait des renseignements pour les Rebelles. En échange, ils la tenaient au courant des dernières nouvelles du front. Elle ne manquait pas de les  communiquer à son tour aux rares humains encore présents sur la zone.

Sa vie tournait comme ça, toujours  sur le qui-vive, des Malfaisants pouvant à tout moment débarquer. Rien ne l’avait préparée à vivre dans cette solitude anxieuse. Autrefois, elle  était une simple bibliothécaire, la guerre l’avait obligée à puiser des forces insoupçonnées au fond d’elle.  Elle vivait dans la crasse, les miasmes, mais buvait de l’eau de pluie filtrée et tentait encore de maintenir son apparence d’humaine civilisée. Ses journées passaient  toutes pareilles : peur, silence, attente. Le regard rivé sur le fleuve qui charriait sans discontinuer des cadavres humains, des carcasses diverses et des débris innombrables. Ses seuls répits elle les trouvait à voir la bonne santé des plantes carnivores qui, petit à petit, prenaient plus de place dans la maison délabrée et commençaient à coloniser aussi dehors l’espace entourant la maison, concurrençant sans beaucoup de mal les brins faméliques d’herbes folles. Mine de rien, elles formaient une petite jungle.

-Tout va bien mes chéries ? leur demandait-elle chaque jour.

Par cette petite phrase anodine, elle mettait un peu de routine et d’illusion dans sa vie fracassée. Loin d’être dupe, Siana soignait cette petite mise en scène pour se donner du courage.

Un soir, alors qu’elle était à son poste à guetter le fleuve, elle vit des ombres se déplacer subrepticement. Des Malfaisants ! Cinq. Cinq ombres qui approchaient de la maison. Suffoquée, elle resta quelques secondes paralysée, incapable de penser. Soudain elle ressentit par tout son être que les plantes l’appelaient. Sans réfléchir, mue par une peur indicible, elle courut  et se jeta sur elles alors que les grognements des rôdeurs se rapprochaient de la maison. Le tapis épais et haut des plantes  cacha aussitôt son frêle gabarit. Allongée dans le noir, face contre terre, attendant le pire, les frôlements des feuilles l’apaisèrent de façon immédiate et radicale.

Les Malfaisants pénétrèrent violemment dans la maison, brisant tout ce qui tenait debout, vociférant   : « T’es cachée ? On va te trouver ! » Tassée sur son lit de verdure, elle les entendit ricaner méchamment pendant qu’ils saccageaient consciencieusement tout ce qu’ils pouvaient. Elle eut l’impression que toute la maison se hérissait de colère.  Elle attendait qu’ils franchissent la porte de la véranda. Les plantes attendaient aussi.

« Les gars ! Visez ça ! Des salades ! » hurla l’un d’eux en piétinant les premières rangées. Ses comparses se précipitèrent  pour les arracher.  Siana  éprouva soudain comme un souffle venant des plantes. Un cri sans son, difficile à expliquer. Il ne dura qu’une seconde  et  les Malfaisants  tombèrent tous brusquement terrassés.

Le silence s’abattit sur Siana qui n’osait pas bouger. Puis, un vent léger secoua ses amies les plantes carnivores qui commencèrent à dépecer les cadavres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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9 avril 2019 2 09 /04 /avril /2019 16:29

-Debout Isi ! Debout ! On a un scoop ! Tu pars en reportage le plus tôt possible !

C’est comme ça qu’un petit matin blafard et glauque qu’Isi, journaliste  vedette  de « Vie Vraie » Sur TV 4655 fut réveillée par son patron Greg via le téléphone -hologramme.  Ayant passé la soirée avec l’équipe mondiale   de surf qui fêtait sa victoire intergalactique  elle n’était pas très fraiche.

-Doucement Greg, j’ai éclusé pas mal de bières d’algues  Martiennes hier soir et ma tête est encore pleine des chants paillards des surfeurs. Et puis, tu sais que je pourrais avoir une vie privée ?

Elle s’extirpa doucement de son canapé en pensant que c’était ça la rançon de la gloire : être  la vedette d’une télé mondiale  et intersidérale  et  voir le visage rougeaud de son boss en hologramme dès 5 heures du matin.

- Tu n’en a pas ma grande ! Tu es comme moi : mariée à ton job ! Bon, ce matin, dans la Mégapole, on  a trouvé un  Volant tué d’un coup de couteau. On lui a coupé les ailes !

-Un Volant ? Dans la Mégapole ?

-Parfaitement. Tu imagines le raffut que ça déclenche ? C’est certainement un crime raciste perpétré par les anti-Volants.  Même la police galactique ne peut  pas pénétrer leur campement. C’est un territoire interdit !  Les politiques sont  obligés de réagir. Tous les médias sont sur les dents !  Imagine ! Tous tes chers confrères et chères consœurs ne rêvent que de rentrer dans ce lieu sacré.

-Bien sûr, répondit Isi en se laissant laver et habiller par ses robots-domestiques .Tu sais aussi bien que moi que  les Volants détestent tout le monde et plus encore les  journalistes. Ils vivent reclus et ne sortent jamais, je ne vois pas comment je pourrais faire un reportage pour « VieVraie » …

-La cheffe des Volants m’a appelé  figure toi ! Elle veut diffuser l’information pour enrayer la spirale de la haine. Tu devras montrer les Volants tels qu’ils sont.

Tout en finissant de se préparer  la jeune femme  admit :

-Du moment que j’ai Saul en protection et Ira à la technique c’est bon, donne-moi tes tuyaux.

-C’est là le hic.

-Quoi ?

-Tu y vas seule. La cheffe Imaéna ne veut que toi.

- Tu veux que j’y aille seule ?

-C’est une exclusivité ma grande ! Tu seras en reportage, invitée personnellement par leur cheffe. Il n’y a aucun souci, ne t’en fais pas ! Tu filmeras tout de ta visio-caméra intégrée pour les directs. Le public va adorer ça ! Des meurtres chez les Volants que tout le monde  déteste et toi, leur journaliste d’investigation préférée qui va chercher l’information à la source ! On va faire un carton d’audience !  Les sponsors se battent déjà pour des minutes de publicité ! Tu imagines ?

Isi réfléchit rapidement. Ce reportage inédit pourrait la propulser au sommet. Et qui sait peut être lui valoir le prix Shermann des journalistes intergalactiques.

-Ok, ok Greg, dit-elle en s’engouffrant dans sa voituro-plane conduite par son fidèle androïde Achille, laissant son appartement aux bons soins des robots –nettoyeurs. Je suis prête. Envoie les infos ! J’arrive au bureau !

-Je te reconnais bien là ma puce !

Isi habitait les quartiers plus que chics de  la Mégalopole, dans un  appartement situé dans une des tours les plus hautes, au deux cent vingtième étage. Elle avait une piscine personnelle et  un petit coin ombragé d’arbres, entre autres, avec un petit ruisseau et des poissons dedans.  Elle aurait pu aménager dans une villa sur le satellite Lune2 en orbite depuis peu ou prendre un appartement équivalent dans une nouvelle colonie interstellaire, mais elle préférait rester sur Terre pour être disponible plus rapidement. Elle adorait son job. L’adrénaline qu’il lui procurait surtout et aussi cette notoriété inter planétaire n’était pas sans lui déplaire. C’est grâce à ça qu’elle avait gagné ses galons de « Super Journaliste ». Ses talents se révélèrent la toute première fois lors de l’interview d’un Hidreux sur Andra, une petite colonie aux confins de la galaxie. Un conflit violent opposait la communauté besogneuse des Hidreux  à larges tentacules et les colonisateurs humains. Isi  convainquit le chef des Hidreux  de participer  à un face à face, mené par elle-même, avec le responsable de la colonie. Cette émission fut regardée par des milliards d’individus dans tout e système solaire et consacra son talent journalistique et conciliateur. Ensuite  s’enchainèrent d’autres  moments forts qui fidélisèrent son public : l’interview de la star universelle Pépie, le reportage sur les naufragés du vaisseau Ulysse 4555 ou celui sur les multi milliardaires Séquans , ceux aux branchies faciales, sur Astro 215 et bien d’autres encore .Cette gloire, isi l’avait acquise à force de travail et d’audace, elle ne s’en excusait pas. Bien calée à l’arrière de son véhicule volant, Isi ouvrit son portable de poignet pour se connectée aux services de TV4655. Greg y avait mis toutes les infos sur les Volants collectées à ce jour. En quelques clics, la jeune femme ingurgita le tout .Il faut dire qu’Isi était une cyborg dernière génération. Elle n’aimait pas qu’on en parle mais quand même, son cerveau possédait une extension qui décuplait sa mémoire, un squelette renforcé et aussi, des caméras implantées dans ses yeux et un micro caché dans sa gorge, ce qui est bien pratique pour une journaliste.  Quand elle arriva devant les bureaux deTV4655  elle en savait désormais assez sur les Volants pour pouvoir les interroger sans bafouiller. Et s’il fallait y aller seule, elle irait seule voilà tout. Au moindre doute, elle saurait improviser.

Les Volants étaient des apatrides  leur planète ayant été détruite à la suite d’une catastrophe déclenchée  par de peu scrupuleux promoteurs  terriens. Les produits chimiques amoncelés au cours des décennies avaient eu raison du fragile équilibre de la plus petite planète de cette galaxie. Contre leur volonté ils avaient émigré, s’étaient disséminés partout où l’on voulait bien les accueillir. L’administration terrienne, se sentant  responsable de leur malheur les avaient autorisés à s’établir sur des terrains encore viables sur la Terre. Vivant loin des centres urbains, dans des lieux nommés « campements » sans aucune technologie superflue en aide, ils ne se liaient pas facilement, restant de préférence entre eux. Les Volants, des êtres ressemblants aux humains avec de longues ailes noires dans le dos suscitaient la crainte. Pourtant, aucun fait grave n’était à mettre à leur actif. Ils vivaient en marge de la société  hyper-urbaine et hyper-connectée de 2200  cela suffisait à leur créer des ennemis. De plus, leur capacité à changer de sexe à volonté suivant leur interlocuteur  intriguait et effrayait certains. Isi connaissait le mouvement radical anti-Volants.   Certes, le monde de 2200 n’était que violence et affrontement, mais quand même, cette information avait de quoi choquer  et intriguer. Cette mutilation semblait désigner un psychopathe anti-Volant, mais comment avait-il fait pour kidnapper ou attirer un de ces êtres hors de son sanctuaire ? Les Volants n’avaient pas de contact avec l’extérieur. Ils ne vivaient qu’entre eux    La méconnaissance engendre la peur qui engendre la haine, c’est souvent ce qu’énonçait Isi devant des crimes abjects. Un meurtre sanglant d’un ressortissant de cette communauté un peu spéciale devait réveiller les politiques de La Cité. C’était de leur devoir.

C’est remontée à bloc qu’elle arriva dans son propre bureau. Tout le staff de son émission « VieVraie » l’attendait, Greg son patron, les techniciens réseaux et relais, l’assistant médical pour sa partie bionique  et Ninie l’androïde secrétaire.

-Tu es ok ma chérie ? Tout va bien ? Tu as des questions ?

-Greg ! Tu me saoules là ! Oui, je suis partante. Je veux juste être certaine d’être couverte par une équipe de récupération, au cas où …

- Pas de souci, tout sera sous contrôle. Tu as ton micro greffé, tu pourras te concentrer uniquement sur ton interlocutrice. Nous te suivrons chaque minute, tu auras nos retours dans ton oreillette. Nous serons postés à l’entrée du campement.

-J’aurais un drone à porter de vue ?

-Non. La seule technologie qui rentrera dans ce camp ce sera toi, c’est la condition impérative de la cheffe.

Isi hocha la tête, pensive :

-J’aimerais ne pas déclencher la caméra et le micro aussitôt. J’ai besoin d’un peu de temps tu sais, d’un premier contact.

-Oui bien sûr ! Tout le monde est prêt ici ! Partons  au plus vite.

Ils s’entassèrent dans une longue voituro-plane  et s’envolèrent pour l’extérieur de la Mégapole, où se trouvait le territoire des Volants. Quand ils arrivèrent près d’une colline boisée, les abords du campement sécurisé derrière de hauts murs  étaient envahis de camions relais et de journalistes de tous poils et de toutes les races que comptait la galaxie. Les antennes, les écrans les hauts parleurs, tous crachaient leurs nouvelles et leurs publicités jusqu’à la nausée. Une foule de curieux tenue à distance par des forces de l’ordre peu commodes poussaient exclamations hystériques. Tout ceci ressemblait à une foire qu’Isi connaissait bien.  En tant que journaliste star de son émission, elle allait rafler le gros lot et tous ses sponsors aussi. Tous étaient fébriles.    Des  robots-policiers défendaient farouchement l’entrée aidés par de solides et agressifs chiens géants de Terra  21.  Ce meurtre touchait la galaxie entière. Il questionnait sur les règles de bienveillance, sur la tolérance entre les différentes races. Le peuple intergalactique avait besoin de sang et de larmes pour vibrer.

-Quel foutoir ! J’aperçois tous nos concurrents : Lars de « DirectLife » et Sue du «Journal des étoiles »,  ils sont là avec toute leur cour et leur matos !

- Pour rien ! La cheffe  nous rejoint  devant une autre entrée moins exposée.

La voiture-plane  longea l’enceinte protectrice, évita les nombreux drones en vol stationnaire sur la frontière puis se gara  plus loin devant une entrée cachée. 

-Tu rigoles Greg ! T’as vu les ronces et les orties ?

- Regarde !

Le ciel au-dessus de leurs têtes s’obscurcit soudain : un flot impressionnant de Volants venait à leur rencontre, leurs  ailes noires  déployées, ce qui ne manqua pas de les laisser bouche bée. Il faut dire que peu de terriens  pouvaient se vanter de voir de près des êtres aussi mystérieux.

La cheffe Imaéna  se posa  à terre la première et s’avança majestueusement, repliant ses  ailes noires derrière son dos. Elle était très grande comme tous les Volants, plus de  3mètres .Son visage grave imposait respect et silence. Sa longue chevelure brune  tombait jusqu’à ses pieds.   Sa garde rapprochée d’une dizaine d’individus la suivait au plus près. 

-Bonjour, merci d’être venus aussi vite.

-Nous apprécions votre confiance.

-Nous voulons la vérité sur ces meurtres et votre émission, Isi, permettra de nous faire connaitre.

-Oui, j’en ai conscience cheffe.

Celle-ci s’adressant à l’équipe au complet :

-Restez ici. Votre journaliste vedette sera de retour dans peu de temps. Avez-vous  toute la technique requise ?

-Tout est prêt, répondit Isi en faisant un clin d’œil à son patron, un peu tétanisé.

Imaéna lui tendit une longue et épaisse main qu’elle attrapa un peu incrédule.  Puis, elle  lui donna l’autre main et aussitôt fut soulevée dans les airs par la seule force des ailes de la cheffe. Isi  entendit le  cri de surprise de Greg. Elle n’osait pas regarder le sol. Le petit escadron  volant eut tôt fait de rejoindre des habitations dissimulées dans un bois. Elle fut déposée délicatement au sol.

-Venez  dans mon nid, c’est le nom de nos maisons lui dit la cheffe en souriant.

La journaliste  eut le temps d’apercevoir l’aménagement du campement. Des constructions simples, des sentiers plus que des routes, des matériaux non sophistiqués, tout ici respirait le calme. Les Volants sur le seuil de leur porte la regardaient passer avec curiosité, mais sans  animosité. Aucun câble, aucun néon, pas de publicité  ni aucune annonce criarde nulle part dans cet environnement désuet.  Isi marchait au centre d’une civilisation dispensée de technologie  et elle avait du mal à comprendre son fonctionnement. 

Quand elle entra dans le nid de la cheffe  l’intérieur la surprit  par son décor monacal : peu de meubles, un cadre dépouillé, des couleurs sobres… Elle n’avait jamais vu ça auparavant.

- Installons-nous dans mon bureau si vous le voulez bien.

La cheffe lui indiqua un siège, pendant qu’elle-même s’installait confortablement, ses ailes repliées derrière elle. Voyant le regard d’Isi :

-Mes ailes ne me gênent pas. Nos ailes ne nous gênent pas. Elles font partie de nous, ne sont pas un accessoire, vous savez.

-Pardon. Vos ailes fascinent c’est vrai .Fascinent et troublent.

-Oui, c’est ce qui nous vaut toute cette curiosité malsaine et ce déferlement de haine aussi. Nos ailes sont noires. Nous ne sommes pas des êtres mythiques comme les Anges. Nous ne sommes que des êtres réels aux ailes noires.

-Il n’y a pas que vos ailes, votre façon de vivre aussi aux antipodes des mœurs de la galaxie. Vous n’avez ni télévision, ni robots-aidants, rien de connecté …Et puis votre capacité à changer...

-De sexe ? Comme ceci ?

Sous les yeux d’Isi médusée, la cheffe se transforma en un beau jeune homme brun aux longs cheveux.

-Oui, balbutia-t-elle. Comment faites-vous pour vivre en autarcie loin de tout ?

Le visage grave de la cheffe  redevenue elle-même, s’éclaircit d’un sourire :

- Vous voyez bien comment nous vivons, simplement, loin de toutes les fureurs du monde. Nous vivons... . À l’ancienne si vous voulez. Mais si j’ai pu obtenir votre venue, c’est bien que je me tiens au courant de tout ce qui se passe dans ce monde-là chère Isi. Il y a dans le campement quelques ordinateurs à notre disposition …

Et elle reprit son apparence féminine, décontenançant un peu son interlocutrice :

-Oui bien sûr.

-En tant que cheffe, je me dois de connaitre les rouages de la société. Pour le bien uniquement de mon peuple. Comprenez-vous ?

Isi prit son air concentré que lui connaissaient des millions de téléspectateurs.

-Cheffe, quand j’aurais déclenché ma caméra, quand le son sera calé, ce sont des milliards d’individus qui vous verrons, qui verrons aussi comment vous vivez … Etes-vous certaine de cela ? Avez-vous mesuré les conséquences ?

Imaéna lui prit ses mains dans les siennes. Une douce chaleur en émanait. Ses ailes puissantes dégageaient un clair parfum d’azur.

-Rien, vous m’entendez, rien ne peux être pire que ce meurtre abject. Ces mutilations …Ne vous en faites pas, je ne suis pas  seule à prendre les décisions ici, le conseil des  Sages m’approuvent. Quoiqu’il puisse nous en couter, nous devons nous présenter au monde.

-Au risque d’exciter les plus enragés ?

-Nous avons pesé le pour et le contre. Nous devons éclairer le monde sur nos mœurs qui sont, vous le constatez vous-même, plus que pacifiques. Et ainsi, peut être inciter quelqu’un à parler, à nous dire qui est le meurtrier de notre compatriote.

Isi sembla hésiter. Regarda tout autour d’elle. Tout ici respirait la quiétude, la lenteur. Tout à l’heure, quand elle aura déclenché sa caméra et son micro, que des millions de téléspectateurs verront son reportage, c’est un véritable  tsunami  de curieux, de journalistes, de désœuvrés, de désaxés qui déferlera  sur les hauts murs d’enceinte du campement. Les Volants sauront ils se préserver ?

Isi n’avait pas la réponse. Elle n’avait qu’une hâte, c’est d’être dans l’action. De faire son job.

Imaéna lui donna le top départ :

-Nous devons le faire pour la mémoire de notre frère Volant atrocement mutilé.

Isi actionna sa visio-caméra intégrée  et demanda l’antenne :

«  Attention ! Direct exceptionnel ! Edition spéciale de « VieVraie » Votre journaliste d’investigation préférée Isi Lambarre  en direct chez les Volants ! Personne n’avait pénétré leur sanctuaire jusqu’à présent mais elle l’a fait !  Une exclusivité de TV4655 ! »

Le grand barnum médiatique commençait .Dans la galaxie, des millions et des millions d’êtres vivants de races différentes regardaient l’émission d’Isi. Du plus petit Zorias au fond de son abysse sombre jusqu’aux Titrans sur un satellite sauvage, tous, tous avaient les yeux rivés devant leur écran. Ils répondaient ainsi à leur alerte corporelle intégrée et il y avait  peut-être quelque chose à gagner, l’émission étant subventionnée par des jeux et des agences de voyages.  Avec les Volants  en exclusivité, il y aurait certainement des détails croustillants.

-Bonsoir cher public, encore une fois au cœur de l’action, je suis dans le saint des saints, dans le campement interdit des Volants suite au meurtre atroce d’un des leurs. Face à moi la cheffe des Volants Imaéna qui va répondre à toutes mes questions …

 

La vie des Volants bascula à cet instant précis.

 

 

 

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25 mars 2019 1 25 /03 /mars /2019 17:23

Quand Sae  arriva essoufflé au bureau, il fut accueilli par le tonnerre de la voix de son chef  brandissant un dossier étiqueté « Erreur » :

-Qu’est-ce que  c’est que ça ? J’apprends que deux individus sont hors des clous ? Qu’ils ne respectent le plan initial ?

- Mais chef … tenta-t-il timidement connaissant le caractère ombrageux de son supérieur.

-Pas de « mais » ! Je veux que vous retrouviez toutes les données, toutes les bandes vidéo  pour savoir comment tout ça à déraper !

Et là, au lieu de faire comme tout le monde, d’adopter  un silence timide et apaisant, devant la colère du chef ,voilà que le petit nouveau, tout frais émoulu de son école avec un sourire innocent dit :

-C’est peut-être le Hasard …

Un vent glacial passa dans le petit bureau encombré de documents. Le visage du chef, Monsieur Destin, un être costaud, sanguin,   prit une teinte violette peu engageante, il explosa :

-Quoi le Hasard ? Qui le Hasard ? Il n’y a pas de Hasard jeune homme ! Connais pas le Hasard ! Tout est paramétré. Il en va de la bonne marche de l’Univers ! C’est clair dans vos petites têtes ? Je ne veux pas de contes de fées ! Les fées n’existent pas !  Je veux des faits : retrouvez-moi les enregistrements ! Est-ce que vous croyez que Madame La Vie va laisser ce dérapage se faire sans rien dire ? Et qui va en prendre pour son grade, hein ?

Ils sentirent son souffle aigre sur leur visage et l’odeur forte de sa transpiration dûe au stress :

-Vous avez compris ? Rugit-il. Trouvez-moi ce qui a dérapé !

-Oui chef ! Répondit la Brigade des Anges comme un seul homme.

Et chacun fila aussitôt sans demander son reste se plonger dans les calculs, les courbes, bref, dans toutes les prévisions inaltérables du Bureau de La Vie, pour mettre le doigt sur l’erreur qui avait conduit à ce manquement. Comment deux  humains dont l’existence était programmée depuis des lustres avaient fait pour changer la donne ?

Sae se concentra consciencieusement sur toutes les données des deux récalcitrants : ils n’auraient jamais dû se rencontrer. Il recalcula, il fouilla leur passé, il visionna les enregistrements vidéo  fournis par leur ange gardien respectif avec le petit nouveau, écouta leurs conversations intimes avec les autres et tous tombèrent d’accord pour admettre que quelque chose avait cloché cette fois-là.  Etant l’Ange le plus ancien, Sae résuma la situation :

-Nos zigotos s’appellent Tilla Simson et Roe Maltez. Ils ne devaient pas se rencontrer. Jamais. Elle avocate à Paris, mariée, deux enfants. Lui berger célibataire  dans les Pyrénées. Leurs deux vies diamétralement différentes ne devaient en aucun cas se croiser et encore moins s’associer. Madame La Vie suit scrupuleusement les plans établis à l’avance dans son Grand Livre. Elle aussi elle a des comptes à rendre …en haut, en  très haut lieu !

-Qu’est-ce qui s’est passé alors ? demanda naïvement le nouveau aux ailes toutes blanches.

Ses collègues le regardèrent  tendrement avec un sourire aux lèvres en pensant : «  Jeunesse ! Jeunesse ! » se revoyant eux-mêmes à leur arrivée dans le bureau de la Brigade des Anges, au temps où leurs ailes à eux aussi étaient d’un blanc immaculé.

-Ce qui s’est passé petit c’est ce qu’on appelle ici le grain de sable.

-Tout est écrit pourtant.

-Oui. Tout est écrit on le sait bien ! Mais c’est  la preuve que tout est possible ! Tilla et Roe ne devaient pas se rencontrer et nous avons retrouvé la vidéo qui montre leur premier contact.  Il était  à Biarritz pour protester contre les taxes qui étouffent les petits producteurs de fromages de brebis. Elle, elle allait rejoindre sa famille dans une maison  louée pour les vacances par ses parents. Son mari, prit par son travail devait arriver  deux jours plus tard.

Ils étaient tous penchés autour de la table de travail de Sae , le nouveau avec sa naïveté touchante , Cham tout juste revenu de mission  et Lia arborant son doux sourire . Ils scrutaient tous ces petits moments de vie humaine anodins qui dans ce cas-là apparaissaient cruciaux.

-Regardez ! C’est là ! cria Cham les faisant sursauter.

Il pointait un long doigt sur une image floue où on devinait Tilla et Roe côte à côte. Ils semblaient se sourire.

-Remontons plus haut, juste avant, décida Lia.

Ils visionnèrent le petit film de très mauvaise qualité. Ils virent Roe sur une route ensoleillée  avec des compagnons de barrage et des brebis un peu perdues au milieu des éclats de voix de contestation : « Non ! Non ! Nous gardons nos moutons ! » scandaient-ils tous vigoureusement en stoppant chaque voiture. Et voilà qu’arriva Tilla avec sa voiture familiale pleine de sacs, valises, jouets, ses deux enfants à l’arrière bien sages, elle ralentit puis arrêta son véhicule à la hauteur des manifestants. Elle fit descendre sa vitre :

-Bonjour. Que se passe-t- il ? demanda-t-elle au petit groupe bloquant la route.

Au moment où un homme allait lui répondre son véhicule fut percuté par l’arrière violemment suite à un mini carambolage dans sa file. Plusieurs voitures s’emboutirent.  Ses enfants crièrent. Fort heureusement à part une grande frayeur le choc ne fit pas de gros dégâts. Tilla sortit immédiatement de sa voiture et détacha ses enfants de leur siège. Spontanément, les témoins de l’accrochage l’aidèrent à rédiger la déclaration d’accident avec le conducteur l’ayant percutée. La jeune femme, fatiguée et excédée, accepta leur aide de mauvaise grâce n’ayant en tête que l’envie de repartir. Pendant ce temps, un homme vint rassurer ses enfants. C’était Roe . Il tenait dans ses bras un agneau ce qui, pour des enfants de la capitale, s’apparentait au comble du merveilleux. Quand le constat fut rempli et signé, Tilla eut du mal à remettre ses enfants dans la voiture.

-Ecoutez votre maman, leur dit Roe .

-On veut encore caresser le petit mouton ! se plaignaient les petits.

-Si votre maman veut bien je vous enverrai des photos quand  je serai de nouveau dans ma bergerie.

C’est à ce moment-là précisément que Tilla regarda Roe . Lui aussi. Leurs deux regards croisés se troublèrent un instant.

-Oui bien sûr, voilà mon numéro de mobile.

Puis rougissante, elle lui tendit sa main, qu’il serra, un peu intimidé :

-Tilla Simson. Et les deux petits monstres, mes enfants, Calio et Silde .

-Roe Maltez. Promis je leur enverrai des photos.

-Merci !

Ils se séparèrent avec un petit sourire.

-Cela aurait dû être la fin de l’histoire. Cela aurait dû… nota Sae .

-Mais ça n’a pas été cas .Ils se sont téléphonés. Ils se sont revus. Ils se sont aimés. Et ils sont ensemble maintenant, admit Lia. Elle va divorcer.

- Leur ange gardien personnel n’a rien pu faire ? demanda le petit nouveau.

-Contre l’Amour il n’y a rien à faire …C’est fichu. Madame LaVie va nous passer un savon, admit Sae simplement.

-Oui. Tout ça prouve juste que rien n’est impossible.

Ils restèrent un moment tous songeurs imaginant Roe et Tilla, imaginant leur patronne furibonde …Puis, prit d’une inspiration :

-On peut revoir les images ? demanda Sae. Oui ? Ce qui n’était pas prévu c’est ce mini-carambolage. Retrouvez-moi le point de départ de tout ça.

Ils scrutèrent les images floues.

-C’est là ! cria le petit nouveau.

Ils venaient d’identifier le « grain de sable », ils avaient le visage, un visage souriant, voire espiègle, de la conductrice à l’origine  de l’accident. La stupéfaction les tint muets un instant.

Amusé, Sae dit finalement :

-Monsieur Destin ne va pas être content du tout de voir le visage du Hasard. C’est celui de la fée Aléa !

 

 

 

 

 

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