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1 mars 2019 5 01 /03 /mars /2019 21:26

Elle avait réussi à se sortir de son immeuble effondré .Comment ? Elle ne se souvenait plus. Le chien marchait à ses côtés, elle sentait son flanc chaud sur sa cuisse nue, ça la rassurait. La ville avait disparu  et n’était plus que  tas de gravats, monticules de pierres, débris de toutes sortes. Elle ne reconnaissait plus rien. Elle essuya son visage ensanglanté de sa main, il était poisseux et sa blessure sur le front lui faisait mal. Le chien la regarda  d’un air interrogateur. C’est à ce moment-là qu’elle recouvra l’usage de son ouïe : des sons terribles pénétrèrent dans  sa tête à la rendre folle. Des sirènes hurlaient. Des gens hurlaient. La ville s’écroulait avec des bruits de craquements d’os. Des geysers de feu sortaient des décombres embrasant tout ce qui restait debout.  D’épaisses fumées âcres tournoyaient dans l’air, piquant violemment les yeux.  Elle s’assit par terre, ferma les paupières et se boucha les oreilles.

-Assez ! cria –t-elle à la manière d’une bête blessée.

Elle sentit la truffe humide du chien sur ses genoux.

-Toi aussi tu as tout perdu ? lui dit-elle  en sanglotant.

Autour d’eux des murs tombaient, des gens fuyaient, pleuraient, ensanglantés, les vêtements en lambeaux.  Que s’était-il passé ?

-Levez-vous mademoiselle, lui dit une femme, il faut quitter la ville avant les retombées.

-Les retombées ?

-Les poussières toxiques  vont retomber,  autant être le plus loin possible  de la ville.

Elle se releva avec précaution. Voyant ça, son interlocutrice reprit sa marche rapide dans le flot hagard et dépenaillé qui sortait des ruines. Elle hésita un instant, un court instant, laissait-elle quelqu’un sous l’amas de pierres qu’était devenu son immeuble ? Sa mémoire bloquait encore. Ses seuls souvenirs étant ceux de sa sortie de cet enchevêtrement de plaques de ciment brisées.  Mécaniquement, une de ses jambes s’avança, suivit par l’autre. C’est ainsi qu’elle rejoignit les survivants, le chien toujours à ses côtés. Elle marcha, marcha encore comme tous ses compagnons d’infortune, pour échapper au pire. La tête vide, encore en pleine sidération, elle avançait sans réfléchir. Autour d’elle, des gens parlaient un peu. C’est ainsi qu’elle apprit qu’il y avait eu une déflagration avant que tout s’écroule. Elle tenta de se remémorer cet instant crucial sans y parvenir.  Le chien la regardait parfois d’un air inquiet.

-On se connait tous les deux ? demanda-t-elle en lui caressant la tête.

Des bribes de mémoire lui revinrent curieusement à cet instant. Son compagnon, son appartement, son travail, sa vie  lui revint sous forme d’un puzzle épars. Tout en continuant à marcher au même rythme que la foule, elle remit de l’ordre dans ses pensées. Elle s’appelait Lina Corp , professeur de français , son compagnon Arty , n’était pas sur place au moment des faits . Il était ….elle se concentra douloureusement pour retrouver l’information. Il se reposait chez sa sœur à la campagne après un accident de voiture. Elle s’en souvenait maintenant et cela la soulageait. Dès qu’elle aurait rejoint la sortie de la ville, qu’elle serait en présence des autorités, elle demanderait à lui téléphoner. Cela pourra être possible elle n’en doutait pas. Malgré ses douleurs, cette idée lui rendait la marche plus légère. Elle appellerait Arty pour le rassurer. Au fur et à mesure de la longue marche pour sortir de l’enfer des  nuages de poussières opaques et irrespirables, des souvenirs précis lui revenaient en tête.  Une bombe, une énorme bombe  avait fait autant de dégâts …Une bombe nucléaire ? Il fallait s’extirper d’ici à tous prix. La foule, dépenaillée, ensanglantée et apeurée, n’avait aussi que cette idée fixe : fuir. Quitter ce lieu mortifère en se frayant un chemin parmi les cadavres, les ruines et les hurlements.  Tous les transports étant impossibles dans une ville bombardée, il ne fallait compter que sur ses jambes.  Des tuyaux de gaz éclataient, des murs tombaient, d’autres bombes explosaient plus loin dans la ville.  Des  enfants pleuraient sur les corps de leurs parents, des gens appelaient à l’aide sans succès, chacun ne pensant qu’à  sa propre survie. Certains pouvaient encore capter du réseau sur le téléphone portable et donnaient des informations par bribes. Lina écoutait la moindre parole, le chien à ses côtés. La bombe n’était pas nucléaire, mais sa puissance dépassait de loin tout ce qui était connu à présent. Les bombes répliques tombées presqu’aussitôt avait fini par détruire totalement  la ville. Tout ou presque était désorganisé, les secours peinaient à venir sur place, n’ayant plus de véhicules, les autorités ne pouvaient pas utiliser les réseaux téléphoniques normaux car tous les centres déterminants avaient souffert. Personne ne savait d’où venait l’attaque. Des hypothèses parcouraient la foule anxieuse et affaiblie.  Quel pays avait pu délibérément lancer des bombes sur Tabatian , capitale jusque-là tranquille  de la Circousie orientale ? Des rumeurs les plus folles couraient parmi les rescapés cherchant à fuir la ville dévastée. Lina ne pensait qu’à Arty. Elle marchait au rythme de cette foule cruellement sommée de s’échapper pour survivre. Malgré ses douleurs, malgré sa peur aussi.  Les bombes  ne tombaient plus,  elles avaient fait  d’énormes dégâts...Une odeur bizarre flottait dans l’air. Etait-ce  le gaz de ville qui se répandait  ou  l’odeur de la pierre broyée ? La gorge et les yeux les piquaient fortement. Curieusement, les sirènes s’étaient tues depuis  qu’ils se rapprochaient de la sortie de la ville. Lina marcha sans notion de temps  avec tous ces gens, ses semblables. Elle marcha jusqu’à arriver à la limite de la ville avec soulagement. Derrière elle, la ville bombardée se noyait dans d’épaisses fumées. Le chien toujours à ses côtés ne l’avait pas lâchée durant ce difficile trajet. Déjà, la pénombre  engloutissait le paysage, le soir les accueillait, mais pas les secours comme ils l’espéraient tous.  La foule désemparée tentait d’obtenir des informations via les téléphones portables encore en charge. Les enfants pleuraient d’épuisement.  L’angoisse montait à mesure que le soir descendait sur les  rescapés, entre deux quintes de toux :

-Allo ? Allo ? Répondez !

Serrée contre le chien impassible, Lina tentait elle aussi de ne pas paniquer. Mais ce n’était pas simple,  d’entendre les appels désespérés de ses compagnons d’infortune  restés sans réponse. Quand la nuit fut complétement installée, ils se rendirent compte du silence total les enveloppant, à quelques kilomètres de la capitale bombardée, plus aucun signe de vie sonore, plus aucune lumière, plus aucun mouvement. Au loin Tabatian brulait sans qu’aucune sirène  ne retentisse. À croire qu’ils étaient seuls au monde .Malgré l’angoisse qui les étreignait,   des groupes se formèrent, ceux qui voulaient aller dans la prochaine ville, ceux qui voulaient rester à attendre de probables secours. Lina hésita un instant, sa plaie continuait de saigner, elle avait du mal à marcher, elle toussait beaucoup, elle se sentait si faible qu’elle ne s’imaginait pas parcourir encore des kilomètres dans le noir. Assise par terre, le chien contre ses genoux, elle regarda le groupe des plus courageux partir. Bien vite, ceux qui restèrent se regroupèrent instinctivement autour d’un feu. Serrée contre la chaleur du chien qui ne la lâchait pas, Lina sentit son corps s’engourdir et une irrépressible et incompréhensible envie de dormir la saisir violemment. Elle n’était pas seule, elle entendait les voix, les pleurs et les quintes de toux de ses compagnons d’infortune. Elle sombra sans résistance.

Les aboiements furieux du chien la réveillèrent. Elle ouvrit les yeux et terrifiée constata que  tous autour d’elle, hommes, femmes, enfants ne bougeaient plus. Couchés ou assis, ils semblaient dormir. Elle  cria :

- Au secours ! Levez-vous ! Au secours !

Mais seul le silence lui revint cruellement en écho. Lina  toussa violemment et laissa des larmes couler sur ses joues maculées de sang séché. Le chien redevenu muet  posait sur elle un regard suppliant.  Elle passa sa main sale sur sa tête. Soudain, il aboya de nouveau, une petite fille marchant parmi les cadavres venait à eux.

- Arrête-toi le chien ! C’est une gosse !

Mais le  chien grondait  en montrant ses crocs à l’enfant qui approchait. C’était une enfant blonde aux yeux bleus, au teint pâle. Elle portait une jolie robe rose.

-Ils sont tous morts, dit-elle d’une voix douce.

-Oui. Où sont tes parents ? Tais-toi le chien !

Lina essaya de secouer l’animal qui la collait et qui se montrait agressif envers la petite. Celle-ci ne semblait pas apeurée :

-Pourquoi es-tu encore là ? demanda-t-elle.

-J’étais avec tous ces gens, après l’explosion. On espérait les secours.

La petite sourit tristement :

-Toi je sais. Je lui demande à lui.

Elle pointait le chien qui grondait sourdement et qui venait de  prendre une position d’attaque. Médusée, Lina ne savait pas quoi dire.

-Va-t’en, continua l’enfant en regardant le chien sévèrement.  C’est trop tard  et tu le sais.

-Comment tu t’appelles  petite?

Le visage rebondi et frais de la fillette se leva vers elle,  Lina vit son regard bleu acier, elle en frissonna et toussa fortement :

-Mon nom ? Lui il le connait, dit l’enfant.  

Le chien tira sur le pull déchiré de Lina  pour l’éloigner.

-Pour toi, je serai Destinée.

-Destinée?

 Lina sentit un grand froid l’envahir .Elle s’écroula aux pieds du chien qui couina aussitôt.

L’enfant s’adressa à lui d’un ton las :

-Pourquoi cette obstination ? Tu sais bien que l’heure c’est l’heure.

Le chien quitta le corps sans vie de Lina et partit au loin comme à regret.

La petite fille lui lança, cassante :

-Dis à ton maitre de cesser ce jeu ! Je gagne toujours.

 

 

 

 

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