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21 janvier 2019 1 21 /01 /janvier /2019 18:27

Ray dévala les escaliers de son immeuble quatre à quatre ce matin-là. Son réveil n’avait pas sonné et il arriverait en retard au travail s’il ne se secouait pas un peu. En passant, il salua sa  vieille voisine acariâtre  qui venait d’éternuer à grand bruit, d’un « Bonjour Madame  Bidu ! A vos souhaits ! » auquel elle répondit par un grognement, comme d’habitude. Il s’engouffra dans la rue à la manière d’un désespéré.

Sept heures plus tard, sa journée achevée, il revint chez lui d’un pas tranquille, goutant même la quiétude de sa petite rue parisienne aux allures de village. Il acheta un  bouquet de fleurs et une bouteille de  vin juste avant de pousser la porte de son immeuble.  Il s’élança  aussitôt à l’assaut des escaliers de bois.  Un frisson inexplicable lui parcouru l’échine quand il croisa le regard de Madame Bidu , qui le regardait monter  derrière sa porte entrebâillée .  Il n’y prêta cependant guère attention, il avait rendez-vous avec Ilana  à quelques pas d’ici et n’avait pas beaucoup de temps pour se préparer.

Leur rencontre résultait du miracle technologique de l’application Finder. Leurs deux profils avaient matchés, puis quelques petits mots plus tard ils s’étaient convenus de se voir autour un petit repas sans façon chez Ilana . Le seul hic, c’est qu’elle vivait en colocation avec une étudiante Colombienne. Ils ne seraient donc pas seuls ce soir. Mais Ray, en bon optimiste, entrevoyait sans sourciller une petite soirée qui se finirait, pourquoi pas, à trois.

Quand Ilana vint lui ouvrir,  il fut plus qu’heureux du choix aléatoire de l’application. C’était une belle et très agréable jeune femme, longue liane brune aux yeux verts et  à la voix douce. Elle paraissait un peu lasse :

-Bonsoir Ray.

-Bonsoir Ilana.

-Merci pour les fleurs et le vin !

Le petit appartement sentait  l’encens, il était décoré façon bohème chic. Ray se plut immédiatement dans cette ambiance :

-On peut ouvrir le vin pour l’apéro ? demanda-t-il en souriant.

-Bien sûr.

 Elle lui tendit un tire-bouchon en lui rendant son sourire. Elle avait préparé une grosse salade, choisi deux belles assiettes et deux beaux verres pour que le repas soit une petite  fête. Ray apprécia. Elle trempa ses lèvres pour gouter le vin qu’il venait de verser. Elle semblait soucieuse.

-Je dois te dire quelque chose.

Pendant quelques secondes il s’imagina des tas de films érotiques avec elle.

-Oui …

-C’est ma coloc…

Et avec sa coloc aussi !

-Elle est très bizarre depuis deux jours, jusqu’à présent c’était une fille sympa, mais là je dois admettre qu’elle est glauque.

Les rêves de Ray s’évanouirent aussitôt.

-Glauque ?

-Oui .N’y prête pas attention mais …elle … elle mange les déchets.

-Quoi ?

-Elle fouille dans la poubelle pour manger nos déchets.

Soudain l’enthousiasme coquin de Ray retomba à son plus bas niveau, Ilana paraissait normale, mais en fait, c’était une dingue. Il songea que c’était bien dommage car physiquement elle correspondait en tous points à ses préférences. Mais une relation, même furtive avec une dérangée, non merci. Il prépara sa fuite sur un ton badin  pour ne pas l’affoler.

-Et où est-elle cette adepte de la récupération absolue ?

-Dans sa chambre. Mais  t’inquiète  Ray.

La voix d’Ilana restait douce et sereine, il s’assit et bu son verre de vin pendant qu’elle lui servait sa salade. Ils commencèrent à manger en bavardant. Petit à petit la tension baissa et une connivence s’établit entre eux. Ray se détendit et Ilana aussi apparemment. Des rires fusèrent entre eux, la soirée s’annonçait finalement prometteuse. Arrivés en douceur au dessert on les aurait cru presque amis de longue date. C’est à ce moment-là que la colocataire  sortit de sa chambre :

-Bonsoir vous deux ! dit Luisa  avec son accent sud-américain à couper au couteau.

Elle paraissait joviale et surtout « normale », Ray ne savait que penser. Mais bien vite la réalité s’imposa à lui quand la jeune femme très brune et un peu ronde  se mit à chercher des rognures de repas dans la poubelle. Gêné, Ray tenta un :

-Il en reste dans le saladier. Regarde !

-Non merci, lui répondit-elle poliment, j’aime mieux quelque chose de plus gouteux.

 Le jeune homme eut un haut le cœur en la voyant se pourlécher les doigts avec des déchets de cuisine. Sans réfléchir il se leva pour fuir cet appartement. Ilana fit de même.

-Allons faire un tour dehors Ray. Tu veux bien ?

Elle l’avait dit avec une telle douceur qu’il lui en fut reconnaissant. Ils descendirent dans la rue respirer l’air pollué parisien qui leur sembla ce soir moins lourd.

-Ouf ! Merci Ilana . Je suis désolé mais les comportements bizarres me font flipper

-C’est pour ça que j’ai essayé de te prévenir …Mais  Luisa était tout à fait normale il y a deux jours.

-Raconte.

-Il n’y a rien à raconter en fait. Avant-hier, elle est revenue de cours différente c’est tout.

-Fin de l’histoire ?

-Fin de l’histoire. Elle me fait un peu peur. Pourtant elle n’est pas agressive  au contraire, elle sourit tout le temps. Elle ne veut que manger des trucs pourris. Et …

-Et quoi ?

- Elle dit qu’elle veut faire un cocon dans sa chambre.

- Tu dis qu’elle est revenue de cours comme ça ?

Des sueurs froides coulaient dans le dos de Ray.

-Oui…Elle s’est arrêtée à la pharmacie du coin pour un rhume juste avant de rentrer à l’appart …

Ils étaient sur le trottoir face à face, un peu perdus, un peu hagards. Plus loin, des gens déplaçaient  des poubelles. La soirée était douce, presque printanière.

-Je vais rentrer, chuchota Ilana  hésitante.

-Viens plutôt chez moi, lui répondit Ray avant de l’embrasser.

Quand ils s’éveillèrent le lendemain dans l’appart sous les toits de Ray, le soleil dardait ses rayons réconfortants avec générosité. Souriante, Ilana se leva :

-Je vais me doucher avant de retrouver ma coloc dégueu.

-Je t’accompagne et je te raccompagnerai, lui répondit-il d’un air coquin.

Peu après,  ils descendirent les escaliers main dans la main.  Ils se dégageaient d’eux  une aura de béatitude. Sous le porche,  Ils croisèrent la vieille Madame Bidu , elle sortait du local  à poubelles , la bouche et les mains sales .

Ray se figea sur place, prenant la main d’Ilana par réflexe.

-Tout va bien Madame Bidu ? 

-Oui mon petit, lui répondit-elle en mâchonnant quelque chose. 

Il eut un haut le cœur.  Ilana l’entraina de force  dans la rue.

-Qu’est-ce que tu crois ?

-Je ne sais pas. Mais elle aussi mange des déchets.

Et puis pensif :

-Normalement, c’est une grincheuse, et là, elle se permet des familiarités.

-C’est une coïncidence. 

-Luisa et ma voisine ? Je trouve ça très étrange.

Ils marchèrent, silencieux et pressés, côte à côte,  mus par un pressentiment. Autour d’eux, Paris continuait sa vie. Les trottoirs maculés, la foule indifférente, les vélos, les trottinettes à éviter, tous les détails de la capitale bouillonnante leur semblèrent rassurants. Ils habitaient à quelques centaines de mètres l’un de l’autre, ils furent vite dans la rue d’Ilana :

-C’est dans cette pharmacie que s’est arrêtée Luisa avant- hier.

Ils  dépassèrent rapidement la petite officine. Mais bien vite, une stupeur sourde les saisi, dans la rue, des poubelles  gisaient  éventrées, renversées, encombrant la chaussée de tous les déchets qu’elles recelaient. Leurs mains se serrèrent violemment quand ils virent plusieurs personnes à même le sol trier et manger les déchets avec délectation. Non pas des sans-abris, non pas  des personnes apparemment dans le besoin mais des personnes banales qui se livraient ici à des actes plus qu’incongrus. Il y avait des hommes, des femmes des enfants même qui se goinfraient sans pudeur d’immondices sans se préoccuper le moins du monde des autres passants. Tous affichaient un sourire de contentement extrême. Le couple accéléra sa  marche pour  atteindre l’appart d’Ilana le plus rapidement possible. Petit à petit une peur panique étranglait leur souffle. Aucun des deux ne pouvait parler. Ils grimpèrent les escaliers de bois quatre à quatre et poussèrent la porte d’Ilana très inquiets. Le logement  silencieux  était resté dans l’état qu’ils l’avaient quitté précipitamment la veille.

-Luisa ! Luisa ! appela Ilana .

Sans réponse, elle frappa à la porte de sa chambre mais sans plus de succès. Ray regardait son téléphone effaré  par ce qu’il y lisait.

-Qu’est ce qui se passe ?

-Il se passe qu’une étrange épidémie se répand dans Paris.

 Il se laissa tomber sur une chaise.

-Ecoute ce qu’en dit Vérité TV: des gens sont pris de violentes envies de manger des déchets, des aliments pourris ou faisandés.

-C’est une maladie ?

-En tout cas ça y ressemble.

Terrifiés, ils restèrent un moment dans les bras l’un de l’autre  en scrutant le petit écran :

-On sait comment ça s’attrape ? s’inquiéta Ilana .

-Non !

La peur suffoquait Ray, son esprit ne pouvait pas raisonner clairement.

-Que va-t-on faire ? lui chuchota Ilana  pétrie d’angoisse.

- Il faut se rendre dans notre mairie d’arrondissement. On verra bien quelles mesures ils nous conseillerons d’appliquer.

C’est à ce moment-là qu’ils entendirent du bruit venant de la chambre de Luisa. C’était  plutôt un gémissement. Instinctivement, Ilana frappa encore à sa porte :

-Luisa ! Luisa ! Tout va bien ?

Le gémissement curieux, longue plainte feutrée, se fit de nouveau entendre, il leur donna la chair de poule, mais Ilana , n’en pouvant plus ,ouvrit la porte . L’intérieur  de la chambre était entièrement occupé par une  énorme forme  faite de différents  tissus déchiquetés et disposée de façon à faire une sorte de grand sac bien colmaté avec une matière visqueuse .  De ce sac sortait des murmures inquiétants.

Glacés, les jeunes gens  n’osaient pas bouger.

-Luisa ? demanda timidement Ilana.

Un borborygme sortit du sac. Une voix ?  Un râle ? Ils n’eurent pas le temps de se questionner plus  car au même instant, une convulsion terrible, un hoquet puissant fit jaillir   une créature mi humaine mi insecte qui éructa  entre ses mandibules :

- Pas Luisa ! Pas Luisa !

D’un seul élan, sans réfléchir, Ray et Ilana  bondirent hors de l’appartement et se jetèrent dans les escaliers en hurlant de terreur.

La substitution venait de commencer.   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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commentaires

E
Brouuuu ! Cette histoire m'ouvre l'appétit ! Bises astroviennes d'Edouard !
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C
Bon appétit Edouard ! Bisous !!

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