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20 avril 2019 6 20 /04 /avril /2019 19:13

-Je suis là mes petites chéries, dit-elle avant même de poser son sac.

Elle était essoufflée, elle avait dû courir dans la Zone Danger pour étoffer son garde-manger. Elle connaissait parfaitement les risques encourus, mais elle devait le faire pour elle-même et pour informer les Rebelles qui parfois passaient la voir. Qui se méfierait d’une dame aux cheveux blancs ? Maintenant elle habitait le quartier inondé du fleuve. La guerre avait détruit son appartement  et elle avait investi sans que ça dérange quiconque cette grande bâtisse vide qui tenait encore debout sur le bourbier nauséabond et putride.   Le confort y était spartiate mais ça ne dérangeait pas Siana . Elle n’occupait que la grande pièce de devant. Les autres, elle les laissait à ses chéries qui se moquaient bien des infiltrations d’eau et autres trous dans le plafond.

-Tout va bien ?

Son visage rayonnait en s’adressant aux centaines de plantes qui occupaient ce qui fut un salon cossu sous  une grande véranda. Un courant d’air vint les faire onduler comme en un silencieux hochement de tête. Les plantes s’étaient adaptées aux nouvelles conditions de vie. Comme les humains, elles avaient transformé certains paramètres pour pouvoir survivre dans le chaos. Elles  s’étaient adaptées, s’étaient modifiées. Ici, elles avaient l’eau en quantité suffisante qui remontait par le plancher, elles avaient le soleil généreux qui passait par les larges baies éventrées, elles n’avaient aussi aucun souci de nourriture, la fange marécageuse près du fleuve leur apportait tous les nutriments nécessaires. Siana passa parmi ses plantes carnivores en les effleurant tendrement. Elle sentit dans ses paumes comme un frémissement. Comme si les plantes vibraient sous sa caresse.

Depuis le déclenchement de la guerre, il y avait  plusieurs décennies, les humains survivants ne pouvaient que constater que certaines espèces opportunistes s’épanouissaient  bien volontiers dans  la pollution, le désordre climatique et les radiations.  Les plantes carnivores  étaient de celles –ci. C’est la maison qui attira Siana : grande,  située sur une petite hauteur près du fleuve, elle apparaissait comme un poste de guet. Ici, elle pourrait surveiller l’arrivée possible de  Malfaisants.  Quand elle  poussa la porte déglinguée, elle les vit de suite : elles semblaient l’attendre. Toutes belles et vigoureuses au milieu des gravats. Sa première envie  fut, c’est vrai,  de les jeter pour organiser son nouvel abri. Et puis, elle ressentit bizarrement de l’apaisement à leur contact, comme si une mystérieuse connexion s’était établie entre elles à son insu. La maison était assez grande pour une cohabitation  sereine. Les plantes et elle-même avait réussi à survivre aux bombes  irradiantes, aux gaz irritants, aux attaques de drones. Cette sale guerre avait décuplé en elles une force d’adaptation insoupçonnée.  Les plantes restèrent dans la véranda inondée et ouverte au vent et Siana  prit la grande pièce du devant. Entre survivantes, autant être solidaires pensa-t-elle. Elle ne regretta pas cette décision. La présence muette mais réactive des plantes lui apportait un peu de réconfort chaque jour. Et puis, le miracle de leur prolifération en relative bonne santé s’apparentait à une promesse. La promesse de jours meilleurs pour l’humanité.

Siana avait tout perdu à cause de cette sale guerre sauf peut-être l’espoir que tout redevienne comme avant. Une pensée de cœur tendre lui répondaient les Rebelles qui contrôlaient la zone et qui affrontaient tous les jours les Malfaisants.

Autrefois, il y a longtemps, Siana  avait une famille, un travail, une petite maison en banlieue tranquille. Les premières bombes s’étaient abattues alors qu’elle était en train de faire ses courses. Tout son quartier avait été détruit .Hébétée par la douleur d’avoir perdu son mari et ses enfants, elle avait d’abord erré  avec les survivants.  Mais les retombées des bombes à  perturbateurs endocriniens décimèrent la maigre troupe qu’elle suivait.  Quand un matin elle s’éveilla entourée de cadavres elle décida de quitter le groupe sans attendre. Voilà comment elle avait atterri ici. Elle ne le regrettait pas. Au contraire. Depuis son installation près du fleuve, elle engrangeait des renseignements pour les Rebelles. En échange, ils la tenaient au courant des dernières nouvelles du front. Elle ne manquait pas de les  communiquer à son tour aux rares humains encore présents sur la zone.

Sa vie tournait comme ça, toujours  sur le qui-vive, des Malfaisants pouvant à tout moment débarquer. Rien ne l’avait préparée à vivre dans cette solitude anxieuse. Autrefois, elle  était une simple bibliothécaire, la guerre l’avait obligée à puiser des forces insoupçonnées au fond d’elle.  Elle vivait dans la crasse, les miasmes, mais buvait de l’eau de pluie filtrée et tentait encore de maintenir son apparence d’humaine civilisée. Ses journées passaient  toutes pareilles : peur, silence, attente. Le regard rivé sur le fleuve qui charriait sans discontinuer des cadavres humains, des carcasses diverses et des débris innombrables. Ses seuls répits elle les trouvait à voir la bonne santé des plantes carnivores qui, petit à petit, prenaient plus de place dans la maison délabrée et commençaient à coloniser aussi dehors l’espace entourant la maison, concurrençant sans beaucoup de mal les brins faméliques d’herbes folles. Mine de rien, elles formaient une petite jungle.

-Tout va bien mes chéries ? leur demandait-elle chaque jour.

Par cette petite phrase anodine, elle mettait un peu de routine et d’illusion dans sa vie fracassée. Loin d’être dupe, Siana soignait cette petite mise en scène pour se donner du courage.

Un soir, alors qu’elle était à son poste à guetter le fleuve, elle vit des ombres se déplacer subrepticement. Des Malfaisants ! Cinq. Cinq ombres qui approchaient de la maison. Suffoquée, elle resta quelques secondes paralysée, incapable de penser. Soudain elle ressentit par tout son être que les plantes l’appelaient. Sans réfléchir, mue par une peur indicible, elle courut  et se jeta sur elles alors que les grognements des rôdeurs se rapprochaient de la maison. Le tapis épais et haut des plantes  cacha aussitôt son frêle gabarit. Allongée dans le noir, face contre terre, attendant le pire, les frôlements des feuilles l’apaisèrent de façon immédiate et radicale.

Les Malfaisants pénétrèrent violemment dans la maison, brisant tout ce qui tenait debout, vociférant   : « T’es cachée ? On va te trouver ! » Tassée sur son lit de verdure, elle les entendit ricaner méchamment pendant qu’ils saccageaient consciencieusement tout ce qu’ils pouvaient. Elle eut l’impression que toute la maison se hérissait de colère.  Elle attendait qu’ils franchissent la porte de la véranda. Les plantes attendaient aussi.

« Les gars ! Visez ça ! Des salades ! » hurla l’un d’eux en piétinant les premières rangées. Ses comparses se précipitèrent  pour les arracher.  Siana  éprouva soudain comme un souffle venant des plantes. Un cri sans son, difficile à expliquer. Il ne dura qu’une seconde  et  les Malfaisants  tombèrent tous brusquement terrassés.

Le silence s’abattit sur Siana qui n’osait pas bouger. Puis, un vent léger secoua ses amies les plantes carnivores qui commencèrent à dépecer les cadavres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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9 avril 2019 2 09 /04 /avril /2019 16:29

-Debout Isi ! Debout ! On a un scoop ! Tu pars en reportage le plus tôt possible !

C’est comme ça qu’un petit matin blafard et glauque qu’Isi, journaliste  vedette  de « Vie Vraie » Sur TV 4655 fut réveillée par son patron Greg via le téléphone -hologramme.  Ayant passé la soirée avec l’équipe mondiale   de surf qui fêtait sa victoire intergalactique  elle n’était pas très fraiche.

-Doucement Greg, j’ai éclusé pas mal de bières d’algues  Martiennes hier soir et ma tête est encore pleine des chants paillards des surfeurs. Et puis, tu sais que je pourrais avoir une vie privée ?

Elle s’extirpa doucement de son canapé en pensant que c’était ça la rançon de la gloire : être  la vedette d’une télé mondiale  et intersidérale  et  voir le visage rougeaud de son boss en hologramme dès 5 heures du matin.

- Tu n’en a pas ma grande ! Tu es comme moi : mariée à ton job ! Bon, ce matin, dans la Mégapole, on  a trouvé un  Volant tué d’un coup de couteau. On lui a coupé les ailes !

-Un Volant ? Dans la Mégapole ?

-Parfaitement. Tu imagines le raffut que ça déclenche ? C’est certainement un crime raciste perpétré par les anti-Volants.  Même la police galactique ne peut  pas pénétrer leur campement. C’est un territoire interdit !  Les politiques sont  obligés de réagir. Tous les médias sont sur les dents !  Imagine ! Tous tes chers confrères et chères consœurs ne rêvent que de rentrer dans ce lieu sacré.

-Bien sûr, répondit Isi en se laissant laver et habiller par ses robots-domestiques .Tu sais aussi bien que moi que  les Volants détestent tout le monde et plus encore les  journalistes. Ils vivent reclus et ne sortent jamais, je ne vois pas comment je pourrais faire un reportage pour « VieVraie » …

-La cheffe des Volants m’a appelé  figure toi ! Elle veut diffuser l’information pour enrayer la spirale de la haine. Tu devras montrer les Volants tels qu’ils sont.

Tout en finissant de se préparer  la jeune femme  admit :

-Du moment que j’ai Saul en protection et Ira à la technique c’est bon, donne-moi tes tuyaux.

-C’est là le hic.

-Quoi ?

-Tu y vas seule. La cheffe Imaéna ne veut que toi.

- Tu veux que j’y aille seule ?

-C’est une exclusivité ma grande ! Tu seras en reportage, invitée personnellement par leur cheffe. Il n’y a aucun souci, ne t’en fais pas ! Tu filmeras tout de ta visio-caméra intégrée pour les directs. Le public va adorer ça ! Des meurtres chez les Volants que tout le monde  déteste et toi, leur journaliste d’investigation préférée qui va chercher l’information à la source ! On va faire un carton d’audience !  Les sponsors se battent déjà pour des minutes de publicité ! Tu imagines ?

Isi réfléchit rapidement. Ce reportage inédit pourrait la propulser au sommet. Et qui sait peut être lui valoir le prix Shermann des journalistes intergalactiques.

-Ok, ok Greg, dit-elle en s’engouffrant dans sa voituro-plane conduite par son fidèle androïde Achille, laissant son appartement aux bons soins des robots –nettoyeurs. Je suis prête. Envoie les infos ! J’arrive au bureau !

-Je te reconnais bien là ma puce !

Isi habitait les quartiers plus que chics de  la Mégalopole, dans un  appartement situé dans une des tours les plus hautes, au deux cent vingtième étage. Elle avait une piscine personnelle et  un petit coin ombragé d’arbres, entre autres, avec un petit ruisseau et des poissons dedans.  Elle aurait pu aménager dans une villa sur le satellite Lune2 en orbite depuis peu ou prendre un appartement équivalent dans une nouvelle colonie interstellaire, mais elle préférait rester sur Terre pour être disponible plus rapidement. Elle adorait son job. L’adrénaline qu’il lui procurait surtout et aussi cette notoriété inter planétaire n’était pas sans lui déplaire. C’est grâce à ça qu’elle avait gagné ses galons de « Super Journaliste ». Ses talents se révélèrent la toute première fois lors de l’interview d’un Hidreux sur Andra, une petite colonie aux confins de la galaxie. Un conflit violent opposait la communauté besogneuse des Hidreux  à larges tentacules et les colonisateurs humains. Isi  convainquit le chef des Hidreux  de participer  à un face à face, mené par elle-même, avec le responsable de la colonie. Cette émission fut regardée par des milliards d’individus dans tout e système solaire et consacra son talent journalistique et conciliateur. Ensuite  s’enchainèrent d’autres  moments forts qui fidélisèrent son public : l’interview de la star universelle Pépie, le reportage sur les naufragés du vaisseau Ulysse 4555 ou celui sur les multi milliardaires Séquans , ceux aux branchies faciales, sur Astro 215 et bien d’autres encore .Cette gloire, isi l’avait acquise à force de travail et d’audace, elle ne s’en excusait pas. Bien calée à l’arrière de son véhicule volant, Isi ouvrit son portable de poignet pour se connectée aux services de TV4655. Greg y avait mis toutes les infos sur les Volants collectées à ce jour. En quelques clics, la jeune femme ingurgita le tout .Il faut dire qu’Isi était une cyborg dernière génération. Elle n’aimait pas qu’on en parle mais quand même, son cerveau possédait une extension qui décuplait sa mémoire, un squelette renforcé et aussi, des caméras implantées dans ses yeux et un micro caché dans sa gorge, ce qui est bien pratique pour une journaliste.  Quand elle arriva devant les bureaux deTV4655  elle en savait désormais assez sur les Volants pour pouvoir les interroger sans bafouiller. Et s’il fallait y aller seule, elle irait seule voilà tout. Au moindre doute, elle saurait improviser.

Les Volants étaient des apatrides  leur planète ayant été détruite à la suite d’une catastrophe déclenchée  par de peu scrupuleux promoteurs  terriens. Les produits chimiques amoncelés au cours des décennies avaient eu raison du fragile équilibre de la plus petite planète de cette galaxie. Contre leur volonté ils avaient émigré, s’étaient disséminés partout où l’on voulait bien les accueillir. L’administration terrienne, se sentant  responsable de leur malheur les avaient autorisés à s’établir sur des terrains encore viables sur la Terre. Vivant loin des centres urbains, dans des lieux nommés « campements » sans aucune technologie superflue en aide, ils ne se liaient pas facilement, restant de préférence entre eux. Les Volants, des êtres ressemblants aux humains avec de longues ailes noires dans le dos suscitaient la crainte. Pourtant, aucun fait grave n’était à mettre à leur actif. Ils vivaient en marge de la société  hyper-urbaine et hyper-connectée de 2200  cela suffisait à leur créer des ennemis. De plus, leur capacité à changer de sexe à volonté suivant leur interlocuteur  intriguait et effrayait certains. Isi connaissait le mouvement radical anti-Volants.   Certes, le monde de 2200 n’était que violence et affrontement, mais quand même, cette information avait de quoi choquer  et intriguer. Cette mutilation semblait désigner un psychopathe anti-Volant, mais comment avait-il fait pour kidnapper ou attirer un de ces êtres hors de son sanctuaire ? Les Volants n’avaient pas de contact avec l’extérieur. Ils ne vivaient qu’entre eux    La méconnaissance engendre la peur qui engendre la haine, c’est souvent ce qu’énonçait Isi devant des crimes abjects. Un meurtre sanglant d’un ressortissant de cette communauté un peu spéciale devait réveiller les politiques de La Cité. C’était de leur devoir.

C’est remontée à bloc qu’elle arriva dans son propre bureau. Tout le staff de son émission « VieVraie » l’attendait, Greg son patron, les techniciens réseaux et relais, l’assistant médical pour sa partie bionique  et Ninie l’androïde secrétaire.

-Tu es ok ma chérie ? Tout va bien ? Tu as des questions ?

-Greg ! Tu me saoules là ! Oui, je suis partante. Je veux juste être certaine d’être couverte par une équipe de récupération, au cas où …

- Pas de souci, tout sera sous contrôle. Tu as ton micro greffé, tu pourras te concentrer uniquement sur ton interlocutrice. Nous te suivrons chaque minute, tu auras nos retours dans ton oreillette. Nous serons postés à l’entrée du campement.

-J’aurais un drone à porter de vue ?

-Non. La seule technologie qui rentrera dans ce camp ce sera toi, c’est la condition impérative de la cheffe.

Isi hocha la tête, pensive :

-J’aimerais ne pas déclencher la caméra et le micro aussitôt. J’ai besoin d’un peu de temps tu sais, d’un premier contact.

-Oui bien sûr ! Tout le monde est prêt ici ! Partons  au plus vite.

Ils s’entassèrent dans une longue voituro-plane  et s’envolèrent pour l’extérieur de la Mégapole, où se trouvait le territoire des Volants. Quand ils arrivèrent près d’une colline boisée, les abords du campement sécurisé derrière de hauts murs  étaient envahis de camions relais et de journalistes de tous poils et de toutes les races que comptait la galaxie. Les antennes, les écrans les hauts parleurs, tous crachaient leurs nouvelles et leurs publicités jusqu’à la nausée. Une foule de curieux tenue à distance par des forces de l’ordre peu commodes poussaient exclamations hystériques. Tout ceci ressemblait à une foire qu’Isi connaissait bien.  En tant que journaliste star de son émission, elle allait rafler le gros lot et tous ses sponsors aussi. Tous étaient fébriles.    Des  robots-policiers défendaient farouchement l’entrée aidés par de solides et agressifs chiens géants de Terra  21.  Ce meurtre touchait la galaxie entière. Il questionnait sur les règles de bienveillance, sur la tolérance entre les différentes races. Le peuple intergalactique avait besoin de sang et de larmes pour vibrer.

-Quel foutoir ! J’aperçois tous nos concurrents : Lars de « DirectLife » et Sue du «Journal des étoiles »,  ils sont là avec toute leur cour et leur matos !

- Pour rien ! La cheffe  nous rejoint  devant une autre entrée moins exposée.

La voiture-plane  longea l’enceinte protectrice, évita les nombreux drones en vol stationnaire sur la frontière puis se gara  plus loin devant une entrée cachée. 

-Tu rigoles Greg ! T’as vu les ronces et les orties ?

- Regarde !

Le ciel au-dessus de leurs têtes s’obscurcit soudain : un flot impressionnant de Volants venait à leur rencontre, leurs  ailes noires  déployées, ce qui ne manqua pas de les laisser bouche bée. Il faut dire que peu de terriens  pouvaient se vanter de voir de près des êtres aussi mystérieux.

La cheffe Imaéna  se posa  à terre la première et s’avança majestueusement, repliant ses  ailes noires derrière son dos. Elle était très grande comme tous les Volants, plus de  3mètres .Son visage grave imposait respect et silence. Sa longue chevelure brune  tombait jusqu’à ses pieds.   Sa garde rapprochée d’une dizaine d’individus la suivait au plus près. 

-Bonjour, merci d’être venus aussi vite.

-Nous apprécions votre confiance.

-Nous voulons la vérité sur ces meurtres et votre émission, Isi, permettra de nous faire connaitre.

-Oui, j’en ai conscience cheffe.

Celle-ci s’adressant à l’équipe au complet :

-Restez ici. Votre journaliste vedette sera de retour dans peu de temps. Avez-vous  toute la technique requise ?

-Tout est prêt, répondit Isi en faisant un clin d’œil à son patron, un peu tétanisé.

Imaéna lui tendit une longue et épaisse main qu’elle attrapa un peu incrédule.  Puis, elle  lui donna l’autre main et aussitôt fut soulevée dans les airs par la seule force des ailes de la cheffe. Isi  entendit le  cri de surprise de Greg. Elle n’osait pas regarder le sol. Le petit escadron  volant eut tôt fait de rejoindre des habitations dissimulées dans un bois. Elle fut déposée délicatement au sol.

-Venez  dans mon nid, c’est le nom de nos maisons lui dit la cheffe en souriant.

La journaliste  eut le temps d’apercevoir l’aménagement du campement. Des constructions simples, des sentiers plus que des routes, des matériaux non sophistiqués, tout ici respirait le calme. Les Volants sur le seuil de leur porte la regardaient passer avec curiosité, mais sans  animosité. Aucun câble, aucun néon, pas de publicité  ni aucune annonce criarde nulle part dans cet environnement désuet.  Isi marchait au centre d’une civilisation dispensée de technologie  et elle avait du mal à comprendre son fonctionnement. 

Quand elle entra dans le nid de la cheffe  l’intérieur la surprit  par son décor monacal : peu de meubles, un cadre dépouillé, des couleurs sobres… Elle n’avait jamais vu ça auparavant.

- Installons-nous dans mon bureau si vous le voulez bien.

La cheffe lui indiqua un siège, pendant qu’elle-même s’installait confortablement, ses ailes repliées derrière elle. Voyant le regard d’Isi :

-Mes ailes ne me gênent pas. Nos ailes ne nous gênent pas. Elles font partie de nous, ne sont pas un accessoire, vous savez.

-Pardon. Vos ailes fascinent c’est vrai .Fascinent et troublent.

-Oui, c’est ce qui nous vaut toute cette curiosité malsaine et ce déferlement de haine aussi. Nos ailes sont noires. Nous ne sommes pas des êtres mythiques comme les Anges. Nous ne sommes que des êtres réels aux ailes noires.

-Il n’y a pas que vos ailes, votre façon de vivre aussi aux antipodes des mœurs de la galaxie. Vous n’avez ni télévision, ni robots-aidants, rien de connecté …Et puis votre capacité à changer...

-De sexe ? Comme ceci ?

Sous les yeux d’Isi médusée, la cheffe se transforma en un beau jeune homme brun aux longs cheveux.

-Oui, balbutia-t-elle. Comment faites-vous pour vivre en autarcie loin de tout ?

Le visage grave de la cheffe  redevenue elle-même, s’éclaircit d’un sourire :

- Vous voyez bien comment nous vivons, simplement, loin de toutes les fureurs du monde. Nous vivons... . À l’ancienne si vous voulez. Mais si j’ai pu obtenir votre venue, c’est bien que je me tiens au courant de tout ce qui se passe dans ce monde-là chère Isi. Il y a dans le campement quelques ordinateurs à notre disposition …

Et elle reprit son apparence féminine, décontenançant un peu son interlocutrice :

-Oui bien sûr.

-En tant que cheffe, je me dois de connaitre les rouages de la société. Pour le bien uniquement de mon peuple. Comprenez-vous ?

Isi prit son air concentré que lui connaissaient des millions de téléspectateurs.

-Cheffe, quand j’aurais déclenché ma caméra, quand le son sera calé, ce sont des milliards d’individus qui vous verrons, qui verrons aussi comment vous vivez … Etes-vous certaine de cela ? Avez-vous mesuré les conséquences ?

Imaéna lui prit ses mains dans les siennes. Une douce chaleur en émanait. Ses ailes puissantes dégageaient un clair parfum d’azur.

-Rien, vous m’entendez, rien ne peux être pire que ce meurtre abject. Ces mutilations …Ne vous en faites pas, je ne suis pas  seule à prendre les décisions ici, le conseil des  Sages m’approuvent. Quoiqu’il puisse nous en couter, nous devons nous présenter au monde.

-Au risque d’exciter les plus enragés ?

-Nous avons pesé le pour et le contre. Nous devons éclairer le monde sur nos mœurs qui sont, vous le constatez vous-même, plus que pacifiques. Et ainsi, peut être inciter quelqu’un à parler, à nous dire qui est le meurtrier de notre compatriote.

Isi sembla hésiter. Regarda tout autour d’elle. Tout ici respirait la quiétude, la lenteur. Tout à l’heure, quand elle aura déclenché sa caméra et son micro, que des millions de téléspectateurs verront son reportage, c’est un véritable  tsunami  de curieux, de journalistes, de désœuvrés, de désaxés qui déferlera  sur les hauts murs d’enceinte du campement. Les Volants sauront ils se préserver ?

Isi n’avait pas la réponse. Elle n’avait qu’une hâte, c’est d’être dans l’action. De faire son job.

Imaéna lui donna le top départ :

-Nous devons le faire pour la mémoire de notre frère Volant atrocement mutilé.

Isi actionna sa visio-caméra intégrée  et demanda l’antenne :

«  Attention ! Direct exceptionnel ! Edition spéciale de « VieVraie » Votre journaliste d’investigation préférée Isi Lambarre  en direct chez les Volants ! Personne n’avait pénétré leur sanctuaire jusqu’à présent mais elle l’a fait !  Une exclusivité de TV4655 ! »

Le grand barnum médiatique commençait .Dans la galaxie, des millions et des millions d’êtres vivants de races différentes regardaient l’émission d’Isi. Du plus petit Zorias au fond de son abysse sombre jusqu’aux Titrans sur un satellite sauvage, tous, tous avaient les yeux rivés devant leur écran. Ils répondaient ainsi à leur alerte corporelle intégrée et il y avait  peut-être quelque chose à gagner, l’émission étant subventionnée par des jeux et des agences de voyages.  Avec les Volants  en exclusivité, il y aurait certainement des détails croustillants.

-Bonsoir cher public, encore une fois au cœur de l’action, je suis dans le saint des saints, dans le campement interdit des Volants suite au meurtre atroce d’un des leurs. Face à moi la cheffe des Volants Imaéna qui va répondre à toutes mes questions …

 

La vie des Volants bascula à cet instant précis.

 

 

 

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25 mars 2019 1 25 /03 /mars /2019 17:23

Quand Sae  arriva essoufflé au bureau, il fut accueilli par le tonnerre de la voix de son chef  brandissant un dossier étiqueté « Erreur » :

-Qu’est-ce que  c’est que ça ? J’apprends que deux individus sont hors des clous ? Qu’ils ne respectent le plan initial ?

- Mais chef … tenta-t-il timidement connaissant le caractère ombrageux de son supérieur.

-Pas de « mais » ! Je veux que vous retrouviez toutes les données, toutes les bandes vidéo  pour savoir comment tout ça à déraper !

Et là, au lieu de faire comme tout le monde, d’adopter  un silence timide et apaisant, devant la colère du chef ,voilà que le petit nouveau, tout frais émoulu de son école avec un sourire innocent dit :

-C’est peut-être le Hasard …

Un vent glacial passa dans le petit bureau encombré de documents. Le visage du chef, Monsieur Destin, un être costaud, sanguin,   prit une teinte violette peu engageante, il explosa :

-Quoi le Hasard ? Qui le Hasard ? Il n’y a pas de Hasard jeune homme ! Connais pas le Hasard ! Tout est paramétré. Il en va de la bonne marche de l’Univers ! C’est clair dans vos petites têtes ? Je ne veux pas de contes de fées ! Les fées n’existent pas !  Je veux des faits : retrouvez-moi les enregistrements ! Est-ce que vous croyez que Madame La Vie va laisser ce dérapage se faire sans rien dire ? Et qui va en prendre pour son grade, hein ?

Ils sentirent son souffle aigre sur leur visage et l’odeur forte de sa transpiration dûe au stress :

-Vous avez compris ? Rugit-il. Trouvez-moi ce qui a dérapé !

-Oui chef ! Répondit la Brigade des Anges comme un seul homme.

Et chacun fila aussitôt sans demander son reste se plonger dans les calculs, les courbes, bref, dans toutes les prévisions inaltérables du Bureau de La Vie, pour mettre le doigt sur l’erreur qui avait conduit à ce manquement. Comment deux  humains dont l’existence était programmée depuis des lustres avaient fait pour changer la donne ?

Sae se concentra consciencieusement sur toutes les données des deux récalcitrants : ils n’auraient jamais dû se rencontrer. Il recalcula, il fouilla leur passé, il visionna les enregistrements vidéo  fournis par leur ange gardien respectif avec le petit nouveau, écouta leurs conversations intimes avec les autres et tous tombèrent d’accord pour admettre que quelque chose avait cloché cette fois-là.  Etant l’Ange le plus ancien, Sae résuma la situation :

-Nos zigotos s’appellent Tilla Simson et Roe Maltez. Ils ne devaient pas se rencontrer. Jamais. Elle avocate à Paris, mariée, deux enfants. Lui berger célibataire  dans les Pyrénées. Leurs deux vies diamétralement différentes ne devaient en aucun cas se croiser et encore moins s’associer. Madame La Vie suit scrupuleusement les plans établis à l’avance dans son Grand Livre. Elle aussi elle a des comptes à rendre …en haut, en  très haut lieu !

-Qu’est-ce qui s’est passé alors ? demanda naïvement le nouveau aux ailes toutes blanches.

Ses collègues le regardèrent  tendrement avec un sourire aux lèvres en pensant : «  Jeunesse ! Jeunesse ! » se revoyant eux-mêmes à leur arrivée dans le bureau de la Brigade des Anges, au temps où leurs ailes à eux aussi étaient d’un blanc immaculé.

-Ce qui s’est passé petit c’est ce qu’on appelle ici le grain de sable.

-Tout est écrit pourtant.

-Oui. Tout est écrit on le sait bien ! Mais c’est  la preuve que tout est possible ! Tilla et Roe ne devaient pas se rencontrer et nous avons retrouvé la vidéo qui montre leur premier contact.  Il était  à Biarritz pour protester contre les taxes qui étouffent les petits producteurs de fromages de brebis. Elle, elle allait rejoindre sa famille dans une maison  louée pour les vacances par ses parents. Son mari, prit par son travail devait arriver  deux jours plus tard.

Ils étaient tous penchés autour de la table de travail de Sae , le nouveau avec sa naïveté touchante , Cham tout juste revenu de mission  et Lia arborant son doux sourire . Ils scrutaient tous ces petits moments de vie humaine anodins qui dans ce cas-là apparaissaient cruciaux.

-Regardez ! C’est là ! cria Cham les faisant sursauter.

Il pointait un long doigt sur une image floue où on devinait Tilla et Roe côte à côte. Ils semblaient se sourire.

-Remontons plus haut, juste avant, décida Lia.

Ils visionnèrent le petit film de très mauvaise qualité. Ils virent Roe sur une route ensoleillée  avec des compagnons de barrage et des brebis un peu perdues au milieu des éclats de voix de contestation : « Non ! Non ! Nous gardons nos moutons ! » scandaient-ils tous vigoureusement en stoppant chaque voiture. Et voilà qu’arriva Tilla avec sa voiture familiale pleine de sacs, valises, jouets, ses deux enfants à l’arrière bien sages, elle ralentit puis arrêta son véhicule à la hauteur des manifestants. Elle fit descendre sa vitre :

-Bonjour. Que se passe-t- il ? demanda-t-elle au petit groupe bloquant la route.

Au moment où un homme allait lui répondre son véhicule fut percuté par l’arrière violemment suite à un mini carambolage dans sa file. Plusieurs voitures s’emboutirent.  Ses enfants crièrent. Fort heureusement à part une grande frayeur le choc ne fit pas de gros dégâts. Tilla sortit immédiatement de sa voiture et détacha ses enfants de leur siège. Spontanément, les témoins de l’accrochage l’aidèrent à rédiger la déclaration d’accident avec le conducteur l’ayant percutée. La jeune femme, fatiguée et excédée, accepta leur aide de mauvaise grâce n’ayant en tête que l’envie de repartir. Pendant ce temps, un homme vint rassurer ses enfants. C’était Roe . Il tenait dans ses bras un agneau ce qui, pour des enfants de la capitale, s’apparentait au comble du merveilleux. Quand le constat fut rempli et signé, Tilla eut du mal à remettre ses enfants dans la voiture.

-Ecoutez votre maman, leur dit Roe .

-On veut encore caresser le petit mouton ! se plaignaient les petits.

-Si votre maman veut bien je vous enverrai des photos quand  je serai de nouveau dans ma bergerie.

C’est à ce moment-là précisément que Tilla regarda Roe . Lui aussi. Leurs deux regards croisés se troublèrent un instant.

-Oui bien sûr, voilà mon numéro de mobile.

Puis rougissante, elle lui tendit sa main, qu’il serra, un peu intimidé :

-Tilla Simson. Et les deux petits monstres, mes enfants, Calio et Silde .

-Roe Maltez. Promis je leur enverrai des photos.

-Merci !

Ils se séparèrent avec un petit sourire.

-Cela aurait dû être la fin de l’histoire. Cela aurait dû… nota Sae .

-Mais ça n’a pas été cas .Ils se sont téléphonés. Ils se sont revus. Ils se sont aimés. Et ils sont ensemble maintenant, admit Lia. Elle va divorcer.

- Leur ange gardien personnel n’a rien pu faire ? demanda le petit nouveau.

-Contre l’Amour il n’y a rien à faire …C’est fichu. Madame LaVie va nous passer un savon, admit Sae simplement.

-Oui. Tout ça prouve juste que rien n’est impossible.

Ils restèrent un moment tous songeurs imaginant Roe et Tilla, imaginant leur patronne furibonde …Puis, prit d’une inspiration :

-On peut revoir les images ? demanda Sae. Oui ? Ce qui n’était pas prévu c’est ce mini-carambolage. Retrouvez-moi le point de départ de tout ça.

Ils scrutèrent les images floues.

-C’est là ! cria le petit nouveau.

Ils venaient d’identifier le « grain de sable », ils avaient le visage, un visage souriant, voire espiègle, de la conductrice à l’origine  de l’accident. La stupéfaction les tint muets un instant.

Amusé, Sae dit finalement :

-Monsieur Destin ne va pas être content du tout de voir le visage du Hasard. C’est celui de la fée Aléa !

 

 

 

 

 

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1 mars 2019 5 01 /03 /mars /2019 21:26

Elle avait réussi à se sortir de son immeuble effondré .Comment ? Elle ne se souvenait plus. Le chien marchait à ses côtés, elle sentait son flanc chaud sur sa cuisse nue, ça la rassurait. La ville avait disparu  et n’était plus que  tas de gravats, monticules de pierres, débris de toutes sortes. Elle ne reconnaissait plus rien. Elle essuya son visage ensanglanté de sa main, il était poisseux et sa blessure sur le front lui faisait mal. Le chien la regarda  d’un air interrogateur. C’est à ce moment-là qu’elle recouvra l’usage de son ouïe : des sons terribles pénétrèrent dans  sa tête à la rendre folle. Des sirènes hurlaient. Des gens hurlaient. La ville s’écroulait avec des bruits de craquements d’os. Des geysers de feu sortaient des décombres embrasant tout ce qui restait debout.  D’épaisses fumées âcres tournoyaient dans l’air, piquant violemment les yeux.  Elle s’assit par terre, ferma les paupières et se boucha les oreilles.

-Assez ! cria –t-elle à la manière d’une bête blessée.

Elle sentit la truffe humide du chien sur ses genoux.

-Toi aussi tu as tout perdu ? lui dit-elle  en sanglotant.

Autour d’eux des murs tombaient, des gens fuyaient, pleuraient, ensanglantés, les vêtements en lambeaux.  Que s’était-il passé ?

-Levez-vous mademoiselle, lui dit une femme, il faut quitter la ville avant les retombées.

-Les retombées ?

-Les poussières toxiques  vont retomber,  autant être le plus loin possible  de la ville.

Elle se releva avec précaution. Voyant ça, son interlocutrice reprit sa marche rapide dans le flot hagard et dépenaillé qui sortait des ruines. Elle hésita un instant, un court instant, laissait-elle quelqu’un sous l’amas de pierres qu’était devenu son immeuble ? Sa mémoire bloquait encore. Ses seuls souvenirs étant ceux de sa sortie de cet enchevêtrement de plaques de ciment brisées.  Mécaniquement, une de ses jambes s’avança, suivit par l’autre. C’est ainsi qu’elle rejoignit les survivants, le chien toujours à ses côtés. Elle marcha, marcha encore comme tous ses compagnons d’infortune, pour échapper au pire. La tête vide, encore en pleine sidération, elle avançait sans réfléchir. Autour d’elle, des gens parlaient un peu. C’est ainsi qu’elle apprit qu’il y avait eu une déflagration avant que tout s’écroule. Elle tenta de se remémorer cet instant crucial sans y parvenir.  Le chien la regardait parfois d’un air inquiet.

-On se connait tous les deux ? demanda-t-elle en lui caressant la tête.

Des bribes de mémoire lui revinrent curieusement à cet instant. Son compagnon, son appartement, son travail, sa vie  lui revint sous forme d’un puzzle épars. Tout en continuant à marcher au même rythme que la foule, elle remit de l’ordre dans ses pensées. Elle s’appelait Lina Corp , professeur de français , son compagnon Arty , n’était pas sur place au moment des faits . Il était ….elle se concentra douloureusement pour retrouver l’information. Il se reposait chez sa sœur à la campagne après un accident de voiture. Elle s’en souvenait maintenant et cela la soulageait. Dès qu’elle aurait rejoint la sortie de la ville, qu’elle serait en présence des autorités, elle demanderait à lui téléphoner. Cela pourra être possible elle n’en doutait pas. Malgré ses douleurs, cette idée lui rendait la marche plus légère. Elle appellerait Arty pour le rassurer. Au fur et à mesure de la longue marche pour sortir de l’enfer des  nuages de poussières opaques et irrespirables, des souvenirs précis lui revenaient en tête.  Une bombe, une énorme bombe  avait fait autant de dégâts …Une bombe nucléaire ? Il fallait s’extirper d’ici à tous prix. La foule, dépenaillée, ensanglantée et apeurée, n’avait aussi que cette idée fixe : fuir. Quitter ce lieu mortifère en se frayant un chemin parmi les cadavres, les ruines et les hurlements.  Tous les transports étant impossibles dans une ville bombardée, il ne fallait compter que sur ses jambes.  Des tuyaux de gaz éclataient, des murs tombaient, d’autres bombes explosaient plus loin dans la ville.  Des  enfants pleuraient sur les corps de leurs parents, des gens appelaient à l’aide sans succès, chacun ne pensant qu’à  sa propre survie. Certains pouvaient encore capter du réseau sur le téléphone portable et donnaient des informations par bribes. Lina écoutait la moindre parole, le chien à ses côtés. La bombe n’était pas nucléaire, mais sa puissance dépassait de loin tout ce qui était connu à présent. Les bombes répliques tombées presqu’aussitôt avait fini par détruire totalement  la ville. Tout ou presque était désorganisé, les secours peinaient à venir sur place, n’ayant plus de véhicules, les autorités ne pouvaient pas utiliser les réseaux téléphoniques normaux car tous les centres déterminants avaient souffert. Personne ne savait d’où venait l’attaque. Des hypothèses parcouraient la foule anxieuse et affaiblie.  Quel pays avait pu délibérément lancer des bombes sur Tabatian , capitale jusque-là tranquille  de la Circousie orientale ? Des rumeurs les plus folles couraient parmi les rescapés cherchant à fuir la ville dévastée. Lina ne pensait qu’à Arty. Elle marchait au rythme de cette foule cruellement sommée de s’échapper pour survivre. Malgré ses douleurs, malgré sa peur aussi.  Les bombes  ne tombaient plus,  elles avaient fait  d’énormes dégâts...Une odeur bizarre flottait dans l’air. Etait-ce  le gaz de ville qui se répandait  ou  l’odeur de la pierre broyée ? La gorge et les yeux les piquaient fortement. Curieusement, les sirènes s’étaient tues depuis  qu’ils se rapprochaient de la sortie de la ville. Lina marcha sans notion de temps  avec tous ces gens, ses semblables. Elle marcha jusqu’à arriver à la limite de la ville avec soulagement. Derrière elle, la ville bombardée se noyait dans d’épaisses fumées. Le chien toujours à ses côtés ne l’avait pas lâchée durant ce difficile trajet. Déjà, la pénombre  engloutissait le paysage, le soir les accueillait, mais pas les secours comme ils l’espéraient tous.  La foule désemparée tentait d’obtenir des informations via les téléphones portables encore en charge. Les enfants pleuraient d’épuisement.  L’angoisse montait à mesure que le soir descendait sur les  rescapés, entre deux quintes de toux :

-Allo ? Allo ? Répondez !

Serrée contre le chien impassible, Lina tentait elle aussi de ne pas paniquer. Mais ce n’était pas simple,  d’entendre les appels désespérés de ses compagnons d’infortune  restés sans réponse. Quand la nuit fut complétement installée, ils se rendirent compte du silence total les enveloppant, à quelques kilomètres de la capitale bombardée, plus aucun signe de vie sonore, plus aucune lumière, plus aucun mouvement. Au loin Tabatian brulait sans qu’aucune sirène  ne retentisse. À croire qu’ils étaient seuls au monde .Malgré l’angoisse qui les étreignait,   des groupes se formèrent, ceux qui voulaient aller dans la prochaine ville, ceux qui voulaient rester à attendre de probables secours. Lina hésita un instant, sa plaie continuait de saigner, elle avait du mal à marcher, elle toussait beaucoup, elle se sentait si faible qu’elle ne s’imaginait pas parcourir encore des kilomètres dans le noir. Assise par terre, le chien contre ses genoux, elle regarda le groupe des plus courageux partir. Bien vite, ceux qui restèrent se regroupèrent instinctivement autour d’un feu. Serrée contre la chaleur du chien qui ne la lâchait pas, Lina sentit son corps s’engourdir et une irrépressible et incompréhensible envie de dormir la saisir violemment. Elle n’était pas seule, elle entendait les voix, les pleurs et les quintes de toux de ses compagnons d’infortune. Elle sombra sans résistance.

Les aboiements furieux du chien la réveillèrent. Elle ouvrit les yeux et terrifiée constata que  tous autour d’elle, hommes, femmes, enfants ne bougeaient plus. Couchés ou assis, ils semblaient dormir. Elle  cria :

- Au secours ! Levez-vous ! Au secours !

Mais seul le silence lui revint cruellement en écho. Lina  toussa violemment et laissa des larmes couler sur ses joues maculées de sang séché. Le chien redevenu muet  posait sur elle un regard suppliant.  Elle passa sa main sale sur sa tête. Soudain, il aboya de nouveau, une petite fille marchant parmi les cadavres venait à eux.

- Arrête-toi le chien ! C’est une gosse !

Mais le  chien grondait  en montrant ses crocs à l’enfant qui approchait. C’était une enfant blonde aux yeux bleus, au teint pâle. Elle portait une jolie robe rose.

-Ils sont tous morts, dit-elle d’une voix douce.

-Oui. Où sont tes parents ? Tais-toi le chien !

Lina essaya de secouer l’animal qui la collait et qui se montrait agressif envers la petite. Celle-ci ne semblait pas apeurée :

-Pourquoi es-tu encore là ? demanda-t-elle.

-J’étais avec tous ces gens, après l’explosion. On espérait les secours.

La petite sourit tristement :

-Toi je sais. Je lui demande à lui.

Elle pointait le chien qui grondait sourdement et qui venait de  prendre une position d’attaque. Médusée, Lina ne savait pas quoi dire.

-Va-t’en, continua l’enfant en regardant le chien sévèrement.  C’est trop tard  et tu le sais.

-Comment tu t’appelles  petite?

Le visage rebondi et frais de la fillette se leva vers elle,  Lina vit son regard bleu acier, elle en frissonna et toussa fortement :

-Mon nom ? Lui il le connait, dit l’enfant.  

Le chien tira sur le pull déchiré de Lina  pour l’éloigner.

-Pour toi, je serai Destinée.

-Destinée?

 Lina sentit un grand froid l’envahir .Elle s’écroula aux pieds du chien qui couina aussitôt.

L’enfant s’adressa à lui d’un ton las :

-Pourquoi cette obstination ? Tu sais bien que l’heure c’est l’heure.

Le chien quitta le corps sans vie de Lina et partit au loin comme à regret.

La petite fille lui lança, cassante :

-Dis à ton maitre de cesser ce jeu ! Je gagne toujours.

 

 

 

 

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11 février 2019 1 11 /02 /février /2019 17:57

Galaxie du Centaure, sur l’exo planète  Cilane , plus communément appelée «  le grenier de la galaxie » en raison de sa vocation uniquement agricole .Sous son ciel violet ,  ses immenses champs de céréales s’étendaient à perte de vue  avec ici ou là une ou deux grandes bâtisses regroupant les Nouveaux Colons . La vie sur cette nouvelle Terre  peu peuplée  n’était que travail au rythme des saisons, à la sueur des fronts humains et des schémas informatiques des robots régisseurs.

Le Gouvernement Central favorisait l’installation de ces aventuriers de l’agriculture en leur fournissant tout le matériel et toute l’aide demandée .Il y avait tant de bouches à nourrir sur l’ex planète bleue  devenue grise. Tant de bouches et si peu de terres fertiles, aussi fallait-il tout faire pour que Cilane attire et retienne une petite population. Tout faire. Tout admettre aussi même renier des préceptes humains inaliénables.  C’est ainsi qu’il existait sur Cilane la Paisible  une  nouvelle forme d’esclavage  par l’exploitation éhontée d’enfants terriens arrachés à leur famille. Les autorités les parachutaient au gré des demandes des Colons. Sans réelle  surveillance, tout pouvait arriver sur cette planète éloignée de tout.

Yol était un de ces enfants, fluet garçonnet brun aux yeux verts pâles.  Au service du couple  Bésade , il trimait du matin au soir, avec d’autres, en échange du gite et du couvert. Il n’avait que neuf ans quand des soldats l’avaient enlevé à ses parents et aussitôt mis dans une navette spatiale en partance pour Cilane . Il en avait douze à présent, ses larmes avaient séché, son corps s’était durci, son âme s’était aguerrie. Une douzaine d’enfants travaillaient ainsi à l’exploitation, aux champs comme aux soins des bêtes.  Les Bésade   veillaient à ce que les enfants soient bien nourris et en bonne santé pour un plus grand rendement. Ils travaillaient dur eux aussi et ne comprenaient pas l’hostilité de certains terriens envers cette pratique très courante sur Cilane . Protégés par la distance et aussi par la demande énorme, les agriculteurs n’avaient guère de soucis à se faire : ils pourraient encore longtemps « employer » des enfants  gratuitement. Pour les aider  à diriger tout ce petit monde,  quatre adultes rémunérés  complétaient le tableau.

Yol travaillait aux champs, sous les ordres de  Sian. Tous deux parcouraient les immensités cultivées contrôlées par les robots optimiseurs. Les cycles des saisons étant plus courts sur la planète, les rotations des cultures s’enchainaient sans pause. Toute  la galaxie avait faim et ici poussaient dans de la bonne terre (et non pas hors sol comme sur toutes les autres planètes exsangues) toutes sortes de céréales. Cilane  répartissait ses abondantes récoltes sur toutes les planètes demandeuses.

Les journées de Yol étaient bien  chargées, beaucoup de route à faire chaque jour pour vérifier que tous les systèmes fonctionnaient. Beaucoup de choses à vérifier. Beaucoup à réparer aussi. Malgré l’ampleur de la tâche, Yol aimait ces longues et harassantes journées loin de la maison Bésade . Loin de Madame Bésade surtout, cette femme autoritaire et dure n’aimait pas ce maigre  garçon trop rêveur à son goût. Elle n’aimait personne en réalité, mais passait ses nerfs sur ses jeunes recrues. Elle prenait un plaisir sadique à  humilier l’un ou l’autre des enfants, coups de baguette sur les mains, dispense de repas, pompes interminables, nettoyage systématique des réfectoires …son imagination cruelle n’avait pas de bornes. Surtout qu’aucun adulte  n’osait s’opposer à elle.  Yol avait un secret pour tenir le coup, il invoquait le ciel en silence pour  l’aider à partir un jour d’ici. Sur Terre on appelait ça autrefois « prier ».

La navette de l’éclaireur Sim450 venait d’entrer dans l’atmosphère de Cilane la Paisible brutalement. Mais au lieu de poursuivre son vol comme prévu, elle effectua des zigzags dangereux pour finir sa course  près d’un hangar. Le pilote n’eut pas le temps de faire quoi que ce soit. Il fut assommé sous le choc violent. La nuit noire demeura immobile et silencieuse.

Quand il était à la maison, Yol , se faisait plus petit  qu’il n’était pour ne pas donner une occasion à Madame Bésade de s’en prendre à lui . De tous les enfants, il restait le plus mutique. Ruminant sans cesse ses pensées. C’était sa façon de se soustraire à tous les mauvais traitements subis.   Il faisait partie des plus grands maintenant et souvent, il consolait les plus jeunes, essayait de leur redonner un maigre sourire. Quand tous dormaient dans le dortoir, harassés par leur longue journée de travail, il se levait sans bruit, dans le noir, aussi silencieux qu’un chat, pour regarder l’immensité de la nuit Cilanienne. Les étoiles y brillaient comme des millions de petits diamants roses .Sa « prière », s’adressait à quelque chose derrière elles. Il pressentait  comme une force capable de le sortir de sa situation. Cette nuit-là, il vit  une boule de feu tomber vers le hangar au bout du premier champ, puis plus rien. La nuit redevient noire et vide. Dévoré de curiosité, il mit un oreiller dans son lit pour tromper l’adulte qui ferait la ronde habituelle de minuit, prit une lampe de poche, son petit sac à dos de travail et ouvrit sans bruit la fenêtre avant de s’élancer dehors. Il connaissait parfaitement l’exploitation et savait pertinemment où chercher la boule de feu. Il rampa jusqu’à la première barrière pour éviter les caméras de surveillance. Derrière lui, dans l’habitation des Bésade, il entendit parler et rire, ce qui lui donna la nausée. Bien vite il arriva hors de leur vue pour pouvoir courir jusqu’au bout du champ, éclairé par les deux lunes satellites de Cilane .  Quand il atteint son but, il vit l’engin spatial à moitié enfoncé dans le sol. Son cœur battait à lui faire mal.  Etait-ce la réponse à toutes ses demandes ? Couchée sur le côté, la navette ressemblait à une grosse boite de ferraille inerte. Yol en fit le tour en la touchant prudemment, elle était encore chaude. Puis, à deux mètres, il aperçut la créature. Elle gémissait. L’enfant  n’eut qu’un bref instant d’hésitation, puis calcula, soupesa, extrapola à une vitesse inégalée. Il tira la créature de toutes ses forces, elle n’était pas très lourde heureusement, jusqu’au hangar. Il l’installa dans son  placard à outils :

-Je suis un ami. Tu vas rester ici le temps de te remettre. Je reviendrai la nuit prochaine pour t’aider et te nourrir. Tu comprends ?

La créature essaya de parler sans y réussir. Yol essuya du liquide vert, qu’il supposa être son sang, qui suintait de son corps. Il fit des sortes de compresses avec des vêtements de travail qu’il déchira. Il lui donna sa gourde remplie d’eau et un morceau de pain.

-Je vais mettre ton engin à l’abri. Je reviens cette nuit.

Il poussa la porte du placard qu’il ferma à clé. C’était le sien et normalement, personne n’irait y mettre son nez. Il tira la navette avec le petit tracteur  qu’il avait l’habitude de manipuler. Il reboucha tant bien que mal le trou que celle-ci avait laissé dans le champ. Il la cacha derrière des meules  de paille destinés aux animaux de l’exploitation. Il savait que les dernières meules ne seraient jamais utilisées.

Sim450 inspecta son petit refuge. L’enfant l’avait déposé sur un tas de vieux vêtements et de paille, derrière lui pendaient des outils et du petit matériel agricole. Il n’était pas grièvement blessé, mais fortement engourdi par la douleur.  Son traducteur automatique ne fonctionnait plus mais tout ceci se remettrait en service dès qu’il pourrait remonter dans sa navette. Il avait conservé son boitier de liaison c’était le principal. L’aide inattendue du jeune garçon lui permettrait de ne pas compromettre toute sa mission. Il s’endormit.

Yol rentra dans le dortoir aussi silencieusement qu’il en était sorti. Tous dormaient. Il se glissa dans son lit le cœur battant de plus belle. Fixant le plafond, incapable de se rendormir,   il contenait difficilement son euphorie. Des images, des projets, des rêves fabuleux s’entrechoquaient dans sa tête.   Les adultes dormaient dans leurs quartiers sans se douter de quoi que ce soit. C’était la réponse du ciel à ses prières, il en était persuadé. Il lui fallait échafauder des plans pour ramener de la nourriture et des soins à la créature sans éveiller l’attention. Quand vint l’aube, Yol se leva avant l’appel quotidien et fila directement au réfectoire, avec un peu de chance, il pourrait glaner ici ou là quelque chose à manger pour l’hôte de son placard à outils. Il tremblait d’impatience mais arrivait à se contrôler  malgré son esprit en ébullition. Nul parmi ses camarades ni parmi les adultes ne vit le moindre changement sur ses traits ou dans ses gestes.  Yol exultait dans son for intérieur mais rien n’apparaissait à la surface. La journée  s’étira longuement pour lui. Quand vint enfin le moment de passer au dortoir, ses petits camarades furent étonnés de le voir se mettre au lit sans rechigner comme à son habitude. Dès l’extinction des feux, Yol attendit que tous fussent endormis pour reprendre le chemin de la veille dans le noir. Dans son sac à dos, il transportait  outre un peu de matériel, des vêtements usagés, de la nourriture et une nouvelle gourde d’eau. Il rampa de nouveau jusqu’à atteindre la limite du premier champ, là où le regard des adultes ne portait plus. Il courut jusqu’au hangar , puis, fébrile, il déverrouilla le petit cadenas de son placard à outils.

Sim450 sortit de sa somnolence quand l’enfant ouvrit la porte. Il se redressa. L’enfant lui tendit de la nourriture et de l’eau. Il ne comprenait toujours pas ce qu’il lui disait, son traducteur étant toujours hors service. La journée de repos lui avait fait du bien, il sentait ses forces revenir. Bientôt, il pourrait retourner dans sa navette et tout réactiver.

-Je suis un ami. Tu vas un peu mieux ? Regarde, je t’ai amené  à boire  et à manger.

Yol parlait à la créature de façon naturelle sans être effrayé par son apparence. Il était heureux de constater que son état s’était un peu amélioré depuis la veille. En les nettoyant sommairement, il constata que  ses plaies s’étaient déjà refermées.  Peu importe qu’elle ne lui réponde pas. Yol restait persuadé qu’elle représentait sa liberté. Mais avant cela, il fallait qu’elle retrouve toutes ses capacités. Il lui fallait encore un peu de temps. Le jeune garçon  envisageait encore un ou deux jours de repos avant que la créature ne soit en mesure de se relever. D’ailleurs, il le faudrait car il craignait que son placard ne soit visité par les adultes. La situation  à la maison devenait de plus en plus tendue. Madame Bésade s’en prenant aux enfants sans aucune retenue, Yol avait du mal à contenir sa rage .Il devait faire preuve de patience. Quand il revint à la maison , Il se recoucha sans bruit dans le noir comme la nuit précédente.

 Le lendemain, il effectua ses corvées sans un mot comme à son habitude, répondant par des monosyllabes aux ordres de Sian. Serrant les dents sous l’effort, ne pensant qu’à son escapade nocturne, l’enfant bouillait d’impatience intérieurement. 

Vers minuit, il reprit le chemin du hangar au bout du premier champ en prenant mille précautions. Bizarrement, il sentait une inquiétude l’oppresser alors que tout paraissait calme. Quand il eut ouvert la porte de son placard, la créature l’attendait debout sur ses tentacules.

C’est à ce moment-là, que, surgissant de nulle part, le couple Bésade et ses employés, éclairés de lampes surpuissantes, armés de fusils,  hurlèrent :

-Sors d’ici sale monstre !

-Putain de monstre ! Avance dans la lumière !

-C’est un éclaireur !

- Un putain de Siméin!

Frappé violemment à la tête par derrière, Yol assista à la scène, le visage en sang contre le sol. Cela ne dura que quelques secondes, les six adultes furent terrassés par une décharge électrique aussi forte qu’inattendue lancée par un des tentacules de la créature. 

Sim450 devait retourner dans sa navette. L’enfant n’étant que superficiellement blessé se releva et le conduisit à son appareil. Là, il remit en service son traducteur automatique pour lui :

-Merci mon ami. Adieu ! lui dit-il d’une voix gutturale venue d’une de ses tentacules.   

Puis il inséra le boitier de liaison à l’intérieur de la capsule. Des petits bruits mêlés à de vives lumières  de toutes les couleurs enveloppèrent l’engin. Sim450 s’installa aux commandes, verrouilla le hublot  et décolla  dans le ciel noir de Cilane.

Outrageusement heureux et reconnaissant  Yol  lui fit un signe de la main  dans la nuit avant  de courir en direction de la maison pour réveiller les enfants.    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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21 janvier 2019 1 21 /01 /janvier /2019 18:27

Ray dévala les escaliers de son immeuble quatre à quatre ce matin-là. Son réveil n’avait pas sonné et il arriverait en retard au travail s’il ne se secouait pas un peu. En passant, il salua sa  vieille voisine acariâtre  qui venait d’éternuer à grand bruit, d’un « Bonjour Madame  Bidu ! A vos souhaits ! » auquel elle répondit par un grognement, comme d’habitude. Il s’engouffra dans la rue à la manière d’un désespéré.

Sept heures plus tard, sa journée achevée, il revint chez lui d’un pas tranquille, goutant même la quiétude de sa petite rue parisienne aux allures de village. Il acheta un  bouquet de fleurs et une bouteille de  vin juste avant de pousser la porte de son immeuble.  Il s’élança  aussitôt à l’assaut des escaliers de bois.  Un frisson inexplicable lui parcouru l’échine quand il croisa le regard de Madame Bidu , qui le regardait monter  derrière sa porte entrebâillée .  Il n’y prêta cependant guère attention, il avait rendez-vous avec Ilana  à quelques pas d’ici et n’avait pas beaucoup de temps pour se préparer.

Leur rencontre résultait du miracle technologique de l’application Finder. Leurs deux profils avaient matchés, puis quelques petits mots plus tard ils s’étaient convenus de se voir autour un petit repas sans façon chez Ilana . Le seul hic, c’est qu’elle vivait en colocation avec une étudiante Colombienne. Ils ne seraient donc pas seuls ce soir. Mais Ray, en bon optimiste, entrevoyait sans sourciller une petite soirée qui se finirait, pourquoi pas, à trois.

Quand Ilana vint lui ouvrir,  il fut plus qu’heureux du choix aléatoire de l’application. C’était une belle et très agréable jeune femme, longue liane brune aux yeux verts et  à la voix douce. Elle paraissait un peu lasse :

-Bonsoir Ray.

-Bonsoir Ilana.

-Merci pour les fleurs et le vin !

Le petit appartement sentait  l’encens, il était décoré façon bohème chic. Ray se plut immédiatement dans cette ambiance :

-On peut ouvrir le vin pour l’apéro ? demanda-t-il en souriant.

-Bien sûr.

 Elle lui tendit un tire-bouchon en lui rendant son sourire. Elle avait préparé une grosse salade, choisi deux belles assiettes et deux beaux verres pour que le repas soit une petite  fête. Ray apprécia. Elle trempa ses lèvres pour gouter le vin qu’il venait de verser. Elle semblait soucieuse.

-Je dois te dire quelque chose.

Pendant quelques secondes il s’imagina des tas de films érotiques avec elle.

-Oui …

-C’est ma coloc…

Et avec sa coloc aussi !

-Elle est très bizarre depuis deux jours, jusqu’à présent c’était une fille sympa, mais là je dois admettre qu’elle est glauque.

Les rêves de Ray s’évanouirent aussitôt.

-Glauque ?

-Oui .N’y prête pas attention mais …elle … elle mange les déchets.

-Quoi ?

-Elle fouille dans la poubelle pour manger nos déchets.

Soudain l’enthousiasme coquin de Ray retomba à son plus bas niveau, Ilana paraissait normale, mais en fait, c’était une dingue. Il songea que c’était bien dommage car physiquement elle correspondait en tous points à ses préférences. Mais une relation, même furtive avec une dérangée, non merci. Il prépara sa fuite sur un ton badin  pour ne pas l’affoler.

-Et où est-elle cette adepte de la récupération absolue ?

-Dans sa chambre. Mais  t’inquiète  Ray.

La voix d’Ilana restait douce et sereine, il s’assit et bu son verre de vin pendant qu’elle lui servait sa salade. Ils commencèrent à manger en bavardant. Petit à petit la tension baissa et une connivence s’établit entre eux. Ray se détendit et Ilana aussi apparemment. Des rires fusèrent entre eux, la soirée s’annonçait finalement prometteuse. Arrivés en douceur au dessert on les aurait cru presque amis de longue date. C’est à ce moment-là que la colocataire  sortit de sa chambre :

-Bonsoir vous deux ! dit Luisa  avec son accent sud-américain à couper au couteau.

Elle paraissait joviale et surtout « normale », Ray ne savait que penser. Mais bien vite la réalité s’imposa à lui quand la jeune femme très brune et un peu ronde  se mit à chercher des rognures de repas dans la poubelle. Gêné, Ray tenta un :

-Il en reste dans le saladier. Regarde !

-Non merci, lui répondit-elle poliment, j’aime mieux quelque chose de plus gouteux.

 Le jeune homme eut un haut le cœur en la voyant se pourlécher les doigts avec des déchets de cuisine. Sans réfléchir il se leva pour fuir cet appartement. Ilana fit de même.

-Allons faire un tour dehors Ray. Tu veux bien ?

Elle l’avait dit avec une telle douceur qu’il lui en fut reconnaissant. Ils descendirent dans la rue respirer l’air pollué parisien qui leur sembla ce soir moins lourd.

-Ouf ! Merci Ilana . Je suis désolé mais les comportements bizarres me font flipper

-C’est pour ça que j’ai essayé de te prévenir …Mais  Luisa était tout à fait normale il y a deux jours.

-Raconte.

-Il n’y a rien à raconter en fait. Avant-hier, elle est revenue de cours différente c’est tout.

-Fin de l’histoire ?

-Fin de l’histoire. Elle me fait un peu peur. Pourtant elle n’est pas agressive  au contraire, elle sourit tout le temps. Elle ne veut que manger des trucs pourris. Et …

-Et quoi ?

- Elle dit qu’elle veut faire un cocon dans sa chambre.

- Tu dis qu’elle est revenue de cours comme ça ?

Des sueurs froides coulaient dans le dos de Ray.

-Oui…Elle s’est arrêtée à la pharmacie du coin pour un rhume juste avant de rentrer à l’appart …

Ils étaient sur le trottoir face à face, un peu perdus, un peu hagards. Plus loin, des gens déplaçaient  des poubelles. La soirée était douce, presque printanière.

-Je vais rentrer, chuchota Ilana  hésitante.

-Viens plutôt chez moi, lui répondit Ray avant de l’embrasser.

Quand ils s’éveillèrent le lendemain dans l’appart sous les toits de Ray, le soleil dardait ses rayons réconfortants avec générosité. Souriante, Ilana se leva :

-Je vais me doucher avant de retrouver ma coloc dégueu.

-Je t’accompagne et je te raccompagnerai, lui répondit-il d’un air coquin.

Peu après,  ils descendirent les escaliers main dans la main.  Ils se dégageaient d’eux  une aura de béatitude. Sous le porche,  Ils croisèrent la vieille Madame Bidu , elle sortait du local  à poubelles , la bouche et les mains sales .

Ray se figea sur place, prenant la main d’Ilana par réflexe.

-Tout va bien Madame Bidu ? 

-Oui mon petit, lui répondit-elle en mâchonnant quelque chose. 

Il eut un haut le cœur.  Ilana l’entraina de force  dans la rue.

-Qu’est-ce que tu crois ?

-Je ne sais pas. Mais elle aussi mange des déchets.

Et puis pensif :

-Normalement, c’est une grincheuse, et là, elle se permet des familiarités.

-C’est une coïncidence. 

-Luisa et ma voisine ? Je trouve ça très étrange.

Ils marchèrent, silencieux et pressés, côte à côte,  mus par un pressentiment. Autour d’eux, Paris continuait sa vie. Les trottoirs maculés, la foule indifférente, les vélos, les trottinettes à éviter, tous les détails de la capitale bouillonnante leur semblèrent rassurants. Ils habitaient à quelques centaines de mètres l’un de l’autre, ils furent vite dans la rue d’Ilana :

-C’est dans cette pharmacie que s’est arrêtée Luisa avant- hier.

Ils  dépassèrent rapidement la petite officine. Mais bien vite, une stupeur sourde les saisi, dans la rue, des poubelles  gisaient  éventrées, renversées, encombrant la chaussée de tous les déchets qu’elles recelaient. Leurs mains se serrèrent violemment quand ils virent plusieurs personnes à même le sol trier et manger les déchets avec délectation. Non pas des sans-abris, non pas  des personnes apparemment dans le besoin mais des personnes banales qui se livraient ici à des actes plus qu’incongrus. Il y avait des hommes, des femmes des enfants même qui se goinfraient sans pudeur d’immondices sans se préoccuper le moins du monde des autres passants. Tous affichaient un sourire de contentement extrême. Le couple accéléra sa  marche pour  atteindre l’appart d’Ilana le plus rapidement possible. Petit à petit une peur panique étranglait leur souffle. Aucun des deux ne pouvait parler. Ils grimpèrent les escaliers de bois quatre à quatre et poussèrent la porte d’Ilana très inquiets. Le logement  silencieux  était resté dans l’état qu’ils l’avaient quitté précipitamment la veille.

-Luisa ! Luisa ! appela Ilana .

Sans réponse, elle frappa à la porte de sa chambre mais sans plus de succès. Ray regardait son téléphone effaré  par ce qu’il y lisait.

-Qu’est ce qui se passe ?

-Il se passe qu’une étrange épidémie se répand dans Paris.

 Il se laissa tomber sur une chaise.

-Ecoute ce qu’en dit Vérité TV: des gens sont pris de violentes envies de manger des déchets, des aliments pourris ou faisandés.

-C’est une maladie ?

-En tout cas ça y ressemble.

Terrifiés, ils restèrent un moment dans les bras l’un de l’autre  en scrutant le petit écran :

-On sait comment ça s’attrape ? s’inquiéta Ilana .

-Non !

La peur suffoquait Ray, son esprit ne pouvait pas raisonner clairement.

-Que va-t-on faire ? lui chuchota Ilana  pétrie d’angoisse.

- Il faut se rendre dans notre mairie d’arrondissement. On verra bien quelles mesures ils nous conseillerons d’appliquer.

C’est à ce moment-là qu’ils entendirent du bruit venant de la chambre de Luisa. C’était  plutôt un gémissement. Instinctivement, Ilana frappa encore à sa porte :

-Luisa ! Luisa ! Tout va bien ?

Le gémissement curieux, longue plainte feutrée, se fit de nouveau entendre, il leur donna la chair de poule, mais Ilana , n’en pouvant plus ,ouvrit la porte . L’intérieur  de la chambre était entièrement occupé par une  énorme forme  faite de différents  tissus déchiquetés et disposée de façon à faire une sorte de grand sac bien colmaté avec une matière visqueuse .  De ce sac sortait des murmures inquiétants.

Glacés, les jeunes gens  n’osaient pas bouger.

-Luisa ? demanda timidement Ilana.

Un borborygme sortit du sac. Une voix ?  Un râle ? Ils n’eurent pas le temps de se questionner plus  car au même instant, une convulsion terrible, un hoquet puissant fit jaillir   une créature mi humaine mi insecte qui éructa  entre ses mandibules :

- Pas Luisa ! Pas Luisa !

D’un seul élan, sans réfléchir, Ray et Ilana  bondirent hors de l’appartement et se jetèrent dans les escaliers en hurlant de terreur.

La substitution venait de commencer.   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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25 novembre 2018 7 25 /11 /novembre /2018 17:23

 ETUDE PREPARATOIRE

Juillet 2150

Rapport confidentiel.

Objet : faisabilité de la colonisation de la planète Absolute  .

Eléments de réponses ci-dessous  transmises par l’agent Sue Bister .

Comportements des Absolutiens .

 

Sur Absolute, petite planète bien sage du fin fond de la galaxie le sexe dominant est le sexe féminin. Les êtres intelligents qui la peuplent ressemblent aux humains, ils ont le sang chaud, se reproduisent comme les mammifères, sont bipèdes, possèdent deux bras, deux jambes  et une tête. Ils sont doués d’intelligence et de parole. Physiquement on note des différences : les membres de ces êtres sont plus longs et plus fins que ceux des humains auxquels ont les comparent. Leur tête  est aussi  bien plus grosse. Cependant, sur Terre, ils passeraient inaperçus dans une foule. L’organisation de leur société ressemble aussi à la nôtre.  La différence essentielle est la place des êtres masculins dans leur société. Longtemps les Absolutiens  ont été relégués en seconde zone. Ce sont les Absolutiennes qui contrôlent tout . On les trouve à la tête de toutes les organisations politiques, économiques et sociales. Elles cumulent tous les pouvoirs.

Comment expliquer cet état de fait ? Au début de leur évolution, les Absolutiennes étant plus charpentées et plus fortes, ont pris l’habitude d’aller chasser en laissant les enfants sous la garde de leurs compagnons plus frêles.  Ce phénomène se retrouva sur toute la planète lors  de l’élaboration de leur société. Absolute est de taille plus modeste que la Terre,  elle n’a qu’un immense continent peuplé de près de 50 millions d’individus. Et qui sont tous issus de la même tribu primitive.  Ce qui explique que ce schéma  s’est propagé à toute la planète. Il faut dire que l’être masculin  est  de plus petite taille que sa compagne. L’Absolutienne  est grande, 1m 80 en moyenne. En général, elle ne craint pas le travail difficile. Comme  l’humaine, elle porte un  bébé  neuf mois dans son ventre.  Dès que le celui-ci  nait, sa mère l’allaite quelques jours, le temps de reprendre  des forces. Deux semaines après la naissance, les soins du petit  sont entièrement dévolus au père. Il se chargera de son éducation pendant le temps nécessaire.

 L’Absolutien  est un être délicat, qui aime s’occuper des enfants et de son foyer. Cependant, il peut, comme sa compagne, avoir un travail. Mais ce travail doit être compatible avec sa vie de famille, sinon  l’Absolutien  se rongera les sangs ou déprimera douloureusement. Sa compagne, elle, est toujours active, elle aime le sport et l’action, c’est pour quoi elle lui délègue les soucis de la maison avec grand plaisir. Il existe des réelles différences entre les deux sexes, l’un dans l’action, l’autre dans la réflexion. Ne nous méprenons pas : les Absolutiennes veillent au bien être de leur famille bien sûr, mais au bien-être matériel, étant peu douées pour l’expression de leurs sentiments. Cette différence est criante aussi dans leur apparence physique. Jamais un Absolutien ne sortira de chez lui sans être maquillé et apprêté, contrairement sa compagne. Dans les rues de la capitale mondiale d’Absolute , Irrban , les couples se promènent  en toute décontraction mais avec cette constante : c’est madame qui tient l’épaule de monsieur  et non l’inverse .

Les mœurs sur Absolute sont codifiées  et policées comme sur Terre. Cependant, on notera une certaine tendance à la débauche de l’Absolutienne . Effectivement, elle n’hésite pas à donner des coups de canifs au contrat moral passé avec son compagnon en s’amusant,  ainsi que  ses congénères, dans des salons dits  de « Détente ». Dans ces salons, autorisés par la loi, chacune peut, moyennant une somme définie, s’amuser avec un Absolutien  de son choix.

Sur bien des points, Absolute ressemble à la Terre des années 1970.Militairement, ses  capacités de défenses aériennes et au sol ne sont pas à négliger car elles sont similaires  à celles  que nous possédions dans ces années là.  Absolute possède  des armes  s’apparentant à nos armes nucléaires d’alors.

Il serait faux de croire que le peuple  Absolutien se laisserait envahir et coloniser facilement, sous prétexte que l’élément féminin est l’élément dominant de leur société. Les Absolutiennes sont de redoutables guerrières, promptes à réagir violemment pour certaines. Socialement, le peuple Absolutien privilégie le dialogue pour enrayer toute bagarre  mais sans pour autant être un peuple pleutre.

On note depuis quelque temps, une émancipation des Absolutiens mâles. Ils veulent se démarquer de leur compagne, demandent les mêmes droits, les mêmes avantages. Tout cela se passe dans la concertation et la bonne entente.

En conclusion, une colonisation agressive ne serait pas judicieuse, les Absolutiens dans leur ensemble n’étant pas aussi malléables que les premiers rapports supposaient.

Si c’est cette solution qu’envisage l’Etat-major des Terres Unies, il faut s’attendre à des pertes considérables des deux côtés. Les Absolutiennes ne se laisseront pas faire et leurs compagnons  prendront la relève.

Juillet 2150, agent Sue Bister pour l’Assemblée des Terres-Unies.

 

En 2200, après des années de guerre, Absolute fait enfin  partie  des Terres-Unies.

 Il reste une poignée  d’Absolutiens qui vivent aujourd’hui  sur un satellite-réserve.

 

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9 novembre 2018 5 09 /11 /novembre /2018 09:49

Faé venait  de poser son vélo contre le muret devant la maison comme à son habitude pendant les beaux jours. Elle revenait du marché et  y avait acheté du poisson et des légumes. Elle  devait cuisiner pour Erria, une amie. Elle en avait bien besoin car depuis peu elle s’était séparée de son compagnon  Zan et  elle se sentait sous pression. Un repas avec Erria c’était  une bulle d’oxygène  et une promesse de grands éclats de rire.

Quand elle inséra la clé dans la serrure, elle vit une fissure au niveau du bas du mur de l’entrée. Elle ne l’avait jamais remarquée. Elle gardait la maison et ce n’était pas le moment  d’avoir des ennuis ! Elle se pencha et constata que tout le bas du mur semblait craquelé.

« Pfff , pensa-t-elle , ça doit être à cause de la sécheresse . Génial ! Juste au moment où je rachète la part de Zan, la maison se barre en cacahuète ! Trente années sans histoire et là, maintenant, les emmerdes,  il faut que ce soit pour moi ? »

Néanmoins, elle décida de rester zen et concentrée sur le repas qu’elle devait préparer pour son amie. Elle s’inquiéterait plus tard.    

C’était une soirée d’enterrement de vie commune. Elle  se déroula comme prévue, Erria étant en forme pour tourner en dérision trente ans de concubinage. Toutes les deux dans la maison quasiment vide  peuplée de vieux cartons et de vieilles photos jaunies firent retentir leurs rires.

-Tu te rends compte ma vieille ? Trente ans ça passe trop vite ! T’as pas le temps de comprendre que tu ne veux pas vieillir  avec  ton compagnon que déjà tu as deux enfants, une maison, des souvenirs en pagaille …

-Bon, pour les enfants, ils sont passés du côté adulte de la force, alors ça fait un problème de moins.

-Le célibat c’est cool, ça te débarrasse de tous tes moches meubles que tu avais !

-Oui, j’aime le minimalisme !

-Et ta maison est allégée ! C’est déjà ça ! Buvons un verre à ta liberté retrouvée !

- Oui. À nous !

Elles burent tant qu’elles ne purent que s’écrouler de fatigue l’une dans son lit et l’autre dans le canapé.

Au matin, toutes les deux  avec un mal de crane carabiné se retrouvèrent devant un grand bol de café.

-Aïe ! Faé ! Ma tête va éclater ! Tu as quelque chose contre toutes ces timbales ?

- Tiens prends un cachet. Voilà ce que c’est de rigoler comme une baleine toute la soirée !

-Pfff oui ! Et aussi d’entendre toute la nuit ta maison craquer comme un vieux bateau sur la mer déchainée !

-Quoi ?

-Tu n’as pas entendu cette nuit ? Tous ces craquements ? Non, toi tu ronflais comme un vieux poêle !

 Faé redescendit brutalement de son nuage. Ignorant les ricanements de son amie, elle sortit vérifier le mur de façade.

-Merde !

La fissure du bas du mur s’était encore agrandie depuis la veille. Une bande de couleur différente affleurait maintenant. Comme si une peau se décollait du sous bassement. Fébrile, elle fit le tour de sa maison et  constata que la béance était présente au bas de chaque mur.

-Tu l’as dit ma vieille ! dit Erria en ce mordant la lèvre.

-Faut que je fasse venir un expert. C’est incompréhensible ! Hier encore, j’en suis certaine, tout était normal !

-C’est peut être dû à la sécheresse.

-Je ne sais pas …

L’ambiance frivole étant bien plombée, Erria  reprit ses affaires et fila, laissant Faé dubitative.

Bien sûr, elle téléphona  à son assurance qui lui adressa un expert. Quand celui-ci  arriva,  un sac à dos plein d’instruments de mesure il s’éclipsa de longues  minutes, le temps d’appréhender la situation et de faire son travail. Il revint  tout sourire  vers Faé, qui, plus qu’inquiète, rongeait ses ongles jusqu’au sang :

-Bon, je peux vous assurer que votre maison n’est pas fissurée.

-Comment ? Mais ce qu’on voit là…

-Ce n’est pas une fissure. Une fissure part du bas de la maison et monte jusqu’en haut. Votre maison se décolle c’est différent.

Les yeux de Faé s’agrandirent soudain.

-Hein ?

Devant son expression d’incompréhension totale, l’homme prit une voix douce et lente pour s’adresser à elle :

-Votre maison se décolle. En fait, elle se détache petit à petit de ses fondations. C’est ce qu’on voit ici.

-Mais pourquoi ?

-Votre maison à la « voyagite ».

-Quoi ?

-La « voyagite » c’est un  phénomène qui prend de l’ampleur actuellement. Des maisons, suite à des changements de propriétaires, ou des drames, quittent leur emplacement.

-Mais …C’est impossible.

-Pourquoi ? Il n’y a  eu aucun changement dans cette maison dernièrement ?

-Ben... si, on s’est séparé avec mon concubin.

-Vous voyez ! s’écria l’expert guilleret. Les maisons « voyagites »  se déplacent pour trouver un endroit sans mauvaises ondes.

-Que faire pour empêcher ça?

-Rien.  J’ai vu des propriétaires poser des filins d’acier ancrés au sol pour retenir leur bien, mais en pure perte ! D’autres ont construit des soutènements complètement inutiles.  Quand une maison décide de partir c’est fichu !

Faé, hébétée, regardait la maison qu’elle habitait depuis 30 années comme pour la première fois. C’était une maison de plain-pied, toute simple, avec de grandes baies vitrées, posée dans un petit jardin fleuri. Une petite maison parmi bien d’autres petites maisons de banlieue.

-Où voulez-vous qu’elle aille ? Vous voyez les voisins tout autour ?

-Ne sous estimez pas son désir d’évasion Madame ! Elle trouvera le moyen ! J’en ai vu beaucoup moi  et je peux vous dire qu’elles ont des ressources insoupçonnées.  Bon, je  remplis mon attestation pour l’assurance et je vous laisse, j’ai d’autres maisons comme la vôtre à expertiser.

-Quelle est la solution alors ?

-Soit vous laissez faire, soit l’assurance vous alloue une indemnité équivalente à la moitié de la valeur de votre maison. C’est la règle en ce moment.

-Elle peut aller loin ?

-Certaines vont jusqu’à voir l’océan. D’autres ne font que pivoter. Voilà votre document. Vous avez une semaine pour prendre votre décision.

L’homme lui tendit un document officiel. Trop préoccupée  pour répondre quoi que ce soit, elle le vit reprendre son sac à dos bourré d’instruments posé contre la maison.

Elle crut entendre, qu’il murmura « Bon voyage » en tapotant furtivement le mur rugueux.

 

 

 

 

 

 

 

 

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6 octobre 2018 6 06 /10 /octobre /2018 16:17

Jojo maniait l’écumoire avec dextérité et  prudence.  Il connaissait  son travail depuis plus de vingt ans et le faisait avec patience et  application. Il fallait  laisser dorer les frites juste le temps nécessaire, les sortir de leur bain d’huile brulante sans précipitation, les déposer dans le plat  pour qu’elles s’égouttent un peu avant que l’apprenti  ne les repartisse dans les assiettes : voilà comment obtenir de bonnes frites. Jojo travaillait avec plaisir. Il disait souvent :

 « Les frites, elles sont bonnes parce qu’on les aime. On les aime vraiment. C’est pour ça qu’ici pas de surgelées ! Que de la bonne patate épluchée du jour ! »

Il avait connu bien des galères avant de s’assagir et de se retrouver dans cette cuisine surchauffée. Sa femme Sophie n’était pas étrangère à tout ça. Il regardait souvent avec tendresse son alliance et le tatouage « S » qu’il avait sur son majeur.

-Comme ça je penserai à toi en bossant, lui avait-il dit en riant.

 À l’époque de leur mariage, Jojo n’était pas encore le patron de ce petit restaurant de la banlieue Lilloise. Il n’était qu’un simple gosse, pauvre gosse sorti des bas-fonds de misère de la capitale Picarde, encore maladroit et empoté sous les ordres du vieux cuisinier Dédé qui allait lui révéler tous les secrets d’une bonne cuisine traditionnelle du Nord.  Issu du quartier Wazemmes où la vie peut parfois être plus difficile qu’ailleurs, il avait cumulé les causes de malchances : un père alcoolique et donc sans cesse au chômage, une mère handicapée physique et donc peu disponible, cinq frères et sœurs très rapprochés et donc turbulents. Jojo arrivait troisième dans cette fratrie agitée. La famille logeait dans un HLM vétuste, entourée de voisins guère mieux lotis. Chez Jojo les coups ne tombaient pas, ses parents étant la plupart du temps trop assommés par l’alcool ou les médicaments pour faire quoique ce soit. La famille de Jojo  vivait  d’allocations chômage et  familiales. Ces maigres ressources fondaient comme neige au soleil d’été dès qu’elles arrivaient sur leur compte en banque. Le père retirait un gros paquet de liquide et disparaissait dans les bars alentours laissant la mère désemparée avec ses enfants. Six gosses aux ventres vides à nourrir  c’était trop pour elle. La grand-mère maternelle venait parfois donner un peu de temps pour le ménage  que sa fille ne pouvait faire et en profitait pour cuisiner une grande gamelle de pâtes à la sauce tomate. Un régal. Il se souvenait encore du goût ce plat sur sa langue encore actuellement. Ils vivaient  pauvrement dans le dénuement matériel et moral total. Dès qu’ils le purent,  Ils chipèrent dans les magasins, fouillèrent à la nuit tombée dans les poubelles des petits restaurants, glanèrent sur les marchés. Deux enfants sur les six commencèrent des petits trafics pour finir en prison.

Dès qu’il sut marcher Jojo  apprit à se méfier de l’alcool. Bien sûr qu’il y avait goûté, pour faire comme son père. Pour comprendre pourquoi il engloutissait tout l’argent du ménage. Un soir, il avait suivi ses frères ainés dans une fête. Ce dont il se souvenait, c’était qu’il avait bu tout ce qu’on lui présentait. Par défi. Inexplicablement cette beuverie mémorable  qui l’avait laissé sur le carreau avait agi comme un antidote : il fut désormais  immunisé contre l’alcool. Il avait  huit ans. On devient vite mature quand les conditions de vie sont médiocres. Le lendemain, se réveillant difficilement auprès  

 

de ses frères salis de vomi, puant la mauvaise bière, méconnaissables et repoussants,  il choisit d’être désormais le plus raisonnable possible. Il respecta  son choix tout au long des années qui suivirent.

« Je sortirai de cette misère. » pensait-il souvent .Et cette phrase devint même sa devise. Il s’y accrochait fermement.   Malheureusement, dans le même temps, ses frères ainés se laissèrent glisser sur la mauvaise pente pour finir en prison. Leur père les abandonna à leur triste sort sans remord, poursuivant sa lente destruction alcoolique. Il mourut dans la rue, seul, un soir un peu plus arrosé qu’un autre. Leur mère quant à elle, complétement dépassée par ces malheurs,  sombra dans une grave dépression et délaissa encore un peu plus sa progéniture. Ses sœurs, des jumelles et une petite dernière alourdies de tous ces tracas eurent la chance  de plaire à  leur grand-mère maternelle qui accepta de les prendre toutes les trois chez elle, le temps que leur mère reprenne ses esprits. Chose qui n’arriva jamais. Resté seul avec elle, Jojo mesura avec lucidité la distance existant entre eux. Il considéra qu’il était plus responsable que sa mère. Il prit en charge toutes les contraintes du foyer : s’occuper des papiers, gérer  leur petit budget, maintenir le logement propre. Pour réussir il comptait sur l’école où il se montrait  assidu.

Dans sa cité, il passait pour un extraterrestre, un enfant sage c’est plutôt rare.  Jojo n’écoutait ni les critiques, ni les jalousies, ne s’en tenait qu’à son projet. Pour s’évader de cette pauvre vie.

Un soir, après l’école, il avait  dix ans, alors qu’il rentrait chez lui d’un pas rapide, insensible aux appels rigolards des copains sur l’aire de jeux, il se sentit observé. Il se retourna mais ne vit rien d’autre que des enfants  débraillés en train de taper dans un ballon dégonflé. Il reprit sa marche rapide, il devait faire ses devoirs,  apprendre ses leçons et accompagner sa mère  au parloir pour voir un de ses ainés. Il était pressé.

-Jojo, fit une petite voix.

-Quoi? demanda l’enfant incrédule en cherchant partout la provenance de cet appel.

-Je suis là. Regarde bien.

 À un mètre de lui se tenait un moineau qui le fixait :

-C’est bien moi qui te parle Jojo. Ne crains rien, je veux juste t’aider.

Ils se trouvaient alors dans une ruelle peu fréquentée. Plus que surpris l’enfant répéta en bredouillant :

-Quoi ?

-Tu le mérites cher enfant.

-Je comprends rien.

-Je suis la fée Mab et j’ai décidé de t’aider un peu.

-Comment ?

- J’ai des grands pouvoirs tu sais et parfois je m’en sers pour faire le bien chez les humains.

-Pourquoi ?

- Parce que tu es un garçon courageux qui affronte une vie difficile.

Le petit garçon hésita : devait-il s’enfuir ? Se pincer pour se réveiller ? Ou rester là à écouter parler un oiseau ?

-Tu vas faire quoi ?

L’oiseau sautillait autour de lui de façon frénétique.

-Tu verras demain.

N’y tenant plus Jojo s’enfuit sans se retourner.

Le lendemain, ayant très mal dormi, il arriva à l’école  en retard alors que les grilles se refermaient. Il rentra dans sa classe précipitamment et bouscula une fille sur son passage. C’était une nouvelle élève, il la voyait pour la première fois. Son cœur bondit dans sa poitrine à lui en faire mal. Cette mince et timide fillette aux cheveux blonds, il sut que pour elle, il ferait tout pour avoir une vie qu’on dit « normale ». Du côté de Sophie, le coup de foudre fut identique, mais elle n’en laissa rien paraitre et ce ne  fut que deux semaines plus tard qu’elle consentit à lui parler. D’un amour innocent d’enfants naquit un amour solide d’adultes, sans qu’ils ne se rendirent compte du temps écoulé.  Ils  s’épaulèrent mutuellement durant leur cursus scolaire d’abord et ensuite professionnel. Ils choisirent tous deux de faire un CAP en restauration. Ce ne fut pas facile, étant un milieu assez dur et peu regardant à la fatigue. Mais avec patience et courage, au fil des années,  ils mirent  de côté des économies pour ouvrir leur petit restaurant bien à eux, et là, ils  y étaient : « Aux frites dorées » leur appartenait.  Le petit établissement accueillait 30 couverts mais c’était largement suffisant. Jojo  ne voulait servir que de bons produits : des bonnes frites d’ici,  dorées à souhait pour accompagner des bonnes moules ou un bon steak. Bien sûr, on pouvait déguster ici aussi du welsh rarebit  maison, de la tarte au Maroilles, toutes les  spécialités Lilloises. Et cela marchait, les clients ravis de leur repas le félicitaient chaque jour et cela  suffisait à faire son bonheur. Le petit Jojo était loin, très loin maintenant. Quand le patron des « Aux frites dorées » sortait de sa cuisine pour prendre l’ambiance de la salle et qu’il voyait des clients satisfaits, il soupirait d’aise, d’autant qu’il se trouvait sous le regard aimant de sa Sophie. Ce qu’il ne dit à personne, c’est qu’il regardait toujours les moineaux piaillant devant le restaurant avec un peu d’anxiété et de tendresse mêlées. Il tenait à leur donner tous les jours de grosses poignées de miettes de pain.

Avait-il rêvé ou non ce soir-là ? Nul ne le saurait jamais.

 

 

 

 

 

 

 

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24 septembre 2018 1 24 /09 /septembre /2018 17:29

Jay et Sul, main dans la main, s’extasiaient devant le catalogue que le robot leur présentait. On n’entendait que des : « Trop mignon celui-là ! » ou des « Moi je craque pour celui-ci ! » Le choix était vaste et donc difficile, mais ils allaient trouver.  Ils étaient ici pour la fabrication d’un petit être sensible  tout prêt à aimer. Ils se trouvaient dans la plus grande fabrique d’animains.

La Terre de 2150 n’était plus la planète bleue  depuis bien longtemps.   À peine un milliard d’hommes peuplait la planète grise dès lors.  Ceux qui s’appelaient désormais « Les Survivants » ne se bousculaient pas dans les grands espaces délaissés ou dans les grandes agglomérations vides. Tous les grands animaux sauvages et domestiques avaient disparu de la surface terrestre après la Grande Catastrophe. Plus de chevaux, de biches, de renards, de cochons etc…etc…tous emportés par la vague terrifiante de Peste Totale de 2100.  On pouvait aller voir à quoi ils ressemblaient dans les Musées. On pouvait aller y admirer  une prolifique et diverse Nature à jamais perdue.  Ne restait sur Terre qu’une portion plus que congrue d’êtres vivants : les humains, les chiens, les chats, les rats et les corbeaux. Dans les océans dévastés de pollution immonde ne nageaient que des méduses de toutes tailles. Sur la terre, tous ces êtres ne cohabitaient pas vraiment. Le chien de 2150 ressemblait plus à son ancêtre le loup, vivant en meutes, fuyant l’homme comme la pire calamité, loin des villes, au cœur des forêts profondes et silencieuses.  Les chats,  en nombre restreint,  chassés autrefois pour leur compagnie à outrance, se cachaient et se préservaient de toute approche humaine, ayant retrouvé le plaisir de vivre la nuit, seuls. Les rats et les corbeaux pullulaient sur terre et dans les airs, leurs prédateurs canins et félins ne pouvant éradiquer leur nombre croissant. Ceux qui proliféraient surtout  étaient les insectes de toutes carapaces et mandibules. Incroyablement, ils avaient su faire de cette Grande Catastrophe leur voie de lancement pour la conquête de la Terre. Fourmis, asticots, mouches  et tous leurs comparses à multiple  pattes et ailes diverses, se délectaient des miasmes et autres pourritures laissés là par une population humaine irresponsable. 

Les Survivants vivaient protégés par des systèmes complexes d’automatisation et de robotisation  dans des villes aseptisées. Sans animaux domestiques, ni de compagnie  pour éliminer toute réapparition de la Peste Totale. Les ingénieurs qui supervisèrent l’installation de tous les mécanismes avant la Grande Catastrophe, en 2080, ne se doutaient pas qu’un déclin prématuré  et brutal de la race humaine allait décupler l’importance de leur invention. Les machines et rouages ronronnaient sans problème, huilées à souhait, prêtes à accomplir leur tâche pour encore quelques décennies. La technologie avait été mise entièrement à la disposition des humains pour leur éviter le moindre travail : nourriture, ramassage des déchets, surveillance des cultures, réparations  diverses, tout avait été calibré pour les automatismes et les robots-services. Tout cela avait été conçu pour un nombre d’humains bien plus élevé. En 2150, Méga –Paris ne comptait que 2 millions d’habitants. Autant dire que les besoins des parisiens s’en trouvaient plus que satisfaits, il n’existait aucune attente, aucun délai suite à une demande, les robots-services  pouvaient y répondre immédiatement. Les Survivants se laissaient dorloter et choyer. La Mégapole bruissait de nombreux  et récurrents cliquetis toute la journée. En fait, les robots  de La Fabrique régentaient tout. Du matin  jusqu’au soir le bien être des humains était pris en charge par le Système Central qui comprenait : les robots-services (nourriture, habillement, loisirs), les automatismes d’aides à la vie(en cas d’handicap ou de maladie) et  les cyber-enseignants (pour tous les apprentissages).

Comme tous les citadins, Jay et Sul possédaient tout ce qu’ils désiraient, tous les biens matériels dont pouvaient bénéficier chaque habitant de la mégapole. Cependant, ils souhaitaient le plus ardemment  acquérir un animain à chérir. Un animain était un petit être hybride, une fabrication, une invention de savants audacieux pour compenser le manque d’enfants dans le monde de 2150. Ils se trouvaient dans le  plus fameux centre de la mégapole pour réaliser leur rêve. Depuis la Grande Catastrophe, les humains se reproduisaient avec la plus grande difficulté, la natalité connaissait des taux d’échecs record. Le sperme n’étant plus de bonne qualité et les ovules peu vigoureuses, les bébés étaient rares. Pourtant, l’assistance robotique contrôlait chaque humain en âge de procréer et transmettait la moindre  anomalie au Système Central pour y remédier. Mais rien  n’y faisait, le chiffre des naissances restait cruellement bas. Les algorithmes des machines s’affolaient devant ce fait : la capacité de reproduction des humains s’amenuisait au fil du temps. Or, le souci majeur des machines demeurait le bien être des humains ainsi que le renouvellement de l’espèce. Dans le secret des chiffrages informatiques, on s’affolait, craignant qu’un jour les humains ne disparaissent purement et simplement.

Jay et Sul, comme beaucoup de leurs compatriotes ne pouvaient pas avoir d’enfant. Du moins cela s’avérait-il très compliqué. Voire impossible. Aussi en avaient-ils fait leur deuil.  Ils  aimaient leur vie bien réglée dans la Mégapole. Posséder un animain comblerait un peu leur manque pensaient-ils. Enfants, les contes d’animaux de compagnie les  avaient enchantés et ils comptaient bien retrouver ce sentiment de plénitude. La fabrique proposait de créer un être en tous points conforme aux désirs de chacun. Ici, pas de stock, pas de rabais et  peu de surplus, chaque animain était unique. Destiné à un seul foyer.

-Vous avez fait votre choix ? leur demanda le robot d’accueil.

-Oui, nous nous sommes décidés pour celui-ci, répondit Jay.

-Bien. Il vous faudra attendre six mois, le temps de la fabrication de votre animain. Vous pourrez suivre la progression de la gestation sur votre écran personnel si vous avez pris cette option.

-Nous attendrons. Ce sera une belle surprise.

-Comme convenu par contrat, vous effectuerez votre paiement à la livraison.   

-Bien sûr !

C’est le cœur léger qu’ils rentrèrent chez eux et qu’ils commencèrent à compter les jours les séparant de leur petite merveille.

Dès qu’ils furent partis, le mécanisme de façonnage  se mit en route : ils avaient choisi un animain  entre un chat et un lapin, avec un pelage dans les tons gris .Les animains  se tenaient debout et se servaient de ce qui s’apparentait à des mains. Mais  tout ceci n’était que bricolage et fabrication maison, il fallait que les robots trouvent le bon ADN dans la base de données pour façonner de toutes pièces un petit être bipède. Heureusement que la Fabrique  détenait des mines entières d’ADN  d’animaux disparus et qu’elle en collectait encore. Une banque cryogénique sous haute sécurité .Tout ceci restait dans une sorte de bunker, les données étant très attractives pour d’éventuels hackers.  Dans le silence feutré de salles de travail isolées du bruit, loin de l’afflux massif des demandeurs d’animains, des robots-techniciens   débutèrent l’assemblage. En fait, ils n’en fabriqueraient pas qu’un seul, mais plusieurs à partir d’un unique  œuf fécondé, ils assureraient ainsi un éventuel échec, tout en sachant que les petits êtres supplémentaires trouveraient toujours preneurs auprès de concitoyens moins fortunés. Les manipulations génétiques n’avaient aucun mystère pour ces talentueux  bidouilleurs. Ils mélangeaient les espèces, trituraient les neurones, modifiaient des gènes.   Ils utilisaient  aussi un duplicateur de chaines de  chromosomes capable de restituer tout le capital génétique  d’un être vivant. Ensuite, ils mettaient l’œuf  obtenu dans un placenta artificiel et attendaient que la nature fasse son œuvre.

C’est ce qu’ils firent pour créer l’animain de Jay et Sul. Six mois après leur demande officielle, ils reçurent un message, équivalent de l’acte de naissance de leur  petit protégé.

« Nous avons  le plaisir de vous annoncer la venue au monde de votre animain . »

Ils se jetèrent dans un taxi-plane séance tenante et arrivèrent dans le hall de la Fabrique, fébriles. Le robot-d’ accueil les invita à le suivre dans une pièce au calme où les attendaient les robots-tech et les techniciens humains chargés de la fabrication. Quand ils virent leur petit animain  dans une couveuse  transparente, ils fondirent  littéralement :

- Qu’il est mignon ! On peut le prendre ?

-Bien sûr, il est à vous. Si vous êtes satisfaits, nous attendons vos dons en compensation.

Jay sortit le petit animain de son berceau et l’examina tendrement, Sul à ses côtés. Ils admirèrent attendris, les toutes petites mains recouvertes d’un poil gris perle tout doux. Les petits pieds remuaient, montrant la finesse des ongles.

-Bonjour petit ange ! Nous sommes ta famille : voici Sul et moi je suis Jay.

-Tu t’appelles Solis maintenant petit bijou.

L’animain  battit des paupières, découvrant des yeux d’un vert profond. Ses moustaches fines frémirent et sa bouche s’ouvrit  pour murmurer un minuscule :

-Aheu

Ce qui eut pour effet d’humidifier leurs yeux. Ils le serrèrent un plus fort contre leur poitrine. Ses petites mains douces au poil gris s’agrippèrent à eux.

-Où doit-on se rendre pour les dons ? demanda Jay en reniflant.

-Suivez le robot-patricien. Vous pouvez amener l’animain avec vous.

Quelques heures plus tard, ils quittèrent tous  trois  la Fabrique pour une nouvelle vie.

Ils laissaient à la Fabrique des échantillons de sang, sperme, plasma,  peau, cheveux, ongle. Tout cela allait  grossir la banque de prélèvements humains que détenait l’établissement dans un lieu tenu secret.

Avec méthode et patience, des robots-techniciens prévoyant l’extinction proche de l’espèce humaine  concoctaient l’avènement d’une nouvelle espèce bipède  entre homme et animal, capable de la remplacer avantageusement.

Des milliers d’êtres fabriqués attendaient dans des cocons le signal de leur réveil pour aller repeupler la Terre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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