Je me rappelle les berges pentues et herbues.
Tapis vert si doux aux pieds menus.
Je me rappelle l'éclat du soleil.
La dolence du jour, la douceur de l'air.
Je me rappelle la pureté du ciel, inégalable.
Les flots boueux et tranquilles de la rivière.
Je me rappelle l'aspect indécis de l'eau.
Le flux changeant allant du vert au bleu.
Je me rappelle les jeux, les rires.
Les folles galipettes enfantines.
Je me rappelle le ruisseau ami.
Son débit vif, son onde claire.
Je me rappelle les vairons et goujons.
Mignons petits poissons.
Je me rappelle juste avant qu'ils ne disparaissent,
Dans l'eau de la déesse paresseuse.
Je me rappelle nos petits seaux
Emplis de ces trésors vivants.
Je me rappelle les tractations âpres:
"Trois goujons pour un gardon."
Je me rappelle nos cannes à pêche assassines
Pour poissons chats et perches-soleil.
Je me rappelle les prises des vrais pêcheurs :
Carpes, brèmes et sandres magnifiques.
Je me rappelle leurs écailles brillantes.
Joyaux glissants aux reflets d'arc en en ciel.
Je me rappelle leurs soubresauts sauvages,
Leur combat pour retrouver l'eau.
Je me rappelle la Saône lunatique,
Abritant dans ses hauts fonds de mystérieux silures.
Je me rappelle les légendes rustiques
Inquiétantes à leur sujet.
Je me rappelle bien le fort courant
Me portant dans ses bras invisibles.
Je me rappelle la terreur
Qui m'a poussée à nager.
Je me rappelle la sensation
Au bout de mes pieds nus.
Je me rappelle que c'était visqueux,
Comme la peau du grand carnassier.
Je me rappelle être sortie de l'eau
A la hâte, glissant sur la vase.
Je me rappelle les rires des pêcheurs:
" la gamine sait nager maintenant!"
Je me rappelle des algues gluantes
Flottant à la surface...